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2 mai 2016

Burundi : Menaces sur l’Eglise catholique.

La Croix
Depuis un an, le Burundi est plongé dans une grave crise, née de la réélection contestée du président Pierre Nkurunziza en juillet dernier.
Les laïcs et l’Église catholique sont victimes de la violence des forces de l’ordre et des intimidations du pouvoir.

La milice Imbonerakure
Pour nous rencontrer, nous avons dû suivre mille précautions. Nous rendre dans un lieu discret et improbable. Attendre dans une pièce sombre à l’insu de presque tout le monde. Le voilà. Appelons-le Pascal. Il est accompagné d’un ami, connu et respecté par tous les catholiques burundais. Il se porte garant de son témoignage.

Recherché par les services de sécurité, les agents du renseignement et les miliciens Imbonerakure, Pascal vit clandestinement depuis l’été 2015, dans la capitale burundaise. Tutsi d’une vingtaine d’années, il est le responsable d’une fraternité de jeunes du Renouveau charismatique. Cet étudiant en santé publique habitait Mutakura, l’un des hauts lieux de la contestation populaire contre le troisième mandat du président Pierre Nkurunziza.


Le 1er juillet 2015, il assiste à la descente meurtrière des forces de l’ordre dans son quartier : une journée en enfer, sans témoins. « Officiellement, ils cherchaient des armes, se souvient-il. Les jeunes étaient arrêtés, rassemblés et triés. Parmi les forces de l’ordre, j’ai vu des policiers et des miliciens tuer systématiquement les Tutsis tombés entre leurs mains. »

À la merci d’une dénonciation

Pris dans la nasse, Pascal est condamné : « Mon nom était inscrit sur une liste de personnes à éliminer car j’étais responsable d’un groupe de jeunes catholiques de Mutakura. Aux yeux du régime, j’étais un leader de la jeunesse contestataire, un ennemi à abattre. »

Grâce à l’intervention d’un policier, d’un militaire et d’un voisin hutu, il échappe à la mort. « L’un a détourné l’attention des bourreaux, l’autre à fait mine de ne pas me voir… ils refusaient de participer à cette violence », explique-t-il.

Depuis, Pascal est à la merci d’une dénonciation, d’un contrôle inopiné de la police ou d’une opération de ratissage. Si ses responsabilités l’ont exposé aux foudres du régime, c’est également grâce à son engagement dans l’Église qu’il a eu la vie sauve. « Il y a des catholiques dans tous les camps et à tous les niveaux. Ils me font passer des messages pour me protéger », confie-t-il.

l’Église catholique, écoutée, surveillée et menacée

Si des laïcs sont touchés par la violence d’État, au Burundi l’Église catholique est aussi dans le viseur des autorités. Écoutée, surveillée et menacée. Fidèles un peu trop en vue, religieux, religieuses, prêtres, évêques, personne n’est à l’abri.

« Le clan au pouvoir est déterminé à le garder et à le consolider, quitte à tuer. Il a assassiné la démocratie, instauré le parti unique, mis sous contrôle tout le pays », s’afflige un prêtre.

Tous les catholiques croisés à Bujumbura ont peur du régime, de ses unités de police engagées dans la répression, des bataillons mobilisés pour la défense du pouvoir, des agents du Service national du renseignement, et des miliciens Imbonerakure. L’appareil répressif mis en place par le CNDD-FDD, le parti présidentiel issu du maquis, est redoutable : descentes de police, arrestations, incarcérations, torture, disparitions, exécutions… Qui est attrapé peut disparaître à jamais.

L’Église catholique dans un silence relatif

À la violence d’État s’ajoute celle des groupes armés liés à l’opposition. À Bujumbura, le mouvement Résistance pour un État de droit au Burundi (RED-Tabara) cible les collaborateurs du régime : assassinats, attaques à la grenade, embuscades. Il n’a pas le pouvoir de renverser le pouvoir mais il est capable de lui faire mal. RED-Tabara s’est installé dans les quartiers de l’opposition, profite de la proximité de la forêt et de la frontière avec la RD-Congo pour se cacher et se réfugier. Et plus le régime opprime les jeunes des quartiers contestataires, plus les rangs de RED-Tabara se garnissent et se renforcent.

À son côté, un autre groupe menace le pouvoir, les Forces républicaines du Burundi, Forebu, constituées principalement de militaires ayant fui l’armée burundaise, de cadres ayant participé au putsch raté du 13 mai 2015. Le Forebu compte sur ses contacts dans l’armée pour miner le régime avant de le renverser. Le 11 décembre 2015, des éléments armés de l’opposition sont passés à l’attaque au cœur de Bujumbura. L’échec a été cuisant. La répression sanglante. De sorte qu’il ne se passe plus un jour à Bujumbura sans une attaque à la grenade, une fusillade, un enlèvement, des arrestations.


Dans ces conditions, comment l’Église catholique se positionne-t-elle ? Discrètement ! Surtout depuis la réélection de Pierre Nkurunziza, le 21 juillet dernier. Alors que la conférence épiscopale s’était plusieurs fois élevée contre sa volonté de se représenter une troisième fois, elle s’est retirée dans un silence relatif depuis l’été dernier.

La répression du 1er juillet a été vécue comme un avertissement lancé à tous ceux osant encore critiquer le pouvoir. « L’évêque de Bujumbura, Mgr Évariste Ngoyagoye, a été menacé de mort s’il prenait la parole contre le régime. Il a échappé de peu à plusieurs tentatives d’assassinat », se désole un proche de l’archevêché.


Le pouvoir remet violemment la conférence épiscopale à sa place

Si les homélies ne conviennent pas aux partisans du régime, ces derniers n’hésitent pas à le faire savoir. Il n’est pas rare de voir un cacique du pouvoir prendre la parole au cours d’une célébration religieuse pour corriger un propos jugé politiquement orienté ou erroné.

Impossible pour un clerc originaire du Rwanda, pays jugé proche de la rébellion, de poursuivre sereinement son ministère dans la capitale burundaise. « Trois prêtres du diocèse ont été exfiltrés à l’étranger. Leur vie était directement menacée », confie un catholique.

Et lorsque la conférence épiscopale ose prendre encore la parole sur la crise actuelle, le pouvoir la remet violemment à sa place. Le 26 mars, le CNDD-FDD constate le rôle négatif de l’Église catholique au Burundi, allant jusqu’à écrire qu’elle « a trempé dans presque toutes les crises qui ont endeuillé le pays depuis l’arrivée des premiers missionnaires, qui par ailleurs sont les précurseurs des colonisateurs européens », soulignant qu’elle n’a plus de « rôle spirituel, mais uniquement politique ».

« Le régime ne supporte pas la liberté de l’Église catholique »

« Le régime ne supporte pas la liberté de l’Église catholique. Il y a quelques jours, les évêques sont venus rencontrer le ministre de l’intérieur pour apaiser les tensions. “Communiquez-moi vos messages avant de les diffuser”, leur a-t-il proposé. Ils ont bien entendu décliné l’offre », raconte un religieux.

De jour en jour l’étau se resserre autour des autorités ecclésiales. « On prend ces menaces au sérieux, dit un responsable de l’Église : en 2014, trois religieuses italiennes ont été assassinées. En 2010, une religieuse croate. Le nonce apostolique a été éliminé en 2004. »

Circonstance aggravante : l’emprise des évangéliques sur le pouvoir. Pierre Nkurunziza est adepte de l’Église du Rocher. Son épouse, Denise, y officie comme pasteure. « Ils baignent dans une fiévreuse atmosphère mystique et millénariste, selon un proche du régime. À leurs yeux, ils sont élus de Dieu. Rien ne peut leur résister. »

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Vers un dialogue de sortie de crise ?

Le Burundi est plongé dans une grave crise émaillée de violences depuis la réélection contestée du président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat.

Selon l’opposition, la société civile et une partie de son camp, il a violé la Constitution, ainsi que l’accord d’Arusha qui mit fin à la guerre civile entre 1993 et 2006.

L’ancien président tanzanien Benjamin Mkapa, nouveau co-médiateur dans la crise burundaise, avait annoncé la reprise du dialogue interburundais aujourd’hui à Arusha (Tanzanie).

Le gouvernement a dit qu’il ne participerait au dialogue de sortie de crise que s’il est consulté, notamment sur les participants. Il refuse jusqu’à présent de s’asseoir à la même table que le Cnared, une plate-forme qui regroupe la quasi-totalité de l’opposition burundaise.

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