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19 mars 2011

Interview que Manassé Nzobonimpa a accordée à la BBC : « Ce qui se passe dans ce pays est un mystère, il n'y a pas d'autres mots »




burundibwiza.com

Ali Yussuf Mugenzi (journaliste à la BBC) : Quel regard portez-vous à la place occupée par le Burundi dans le rapport dressé par la Transparency International?



Hon.Nzobonimpa Manassé
Le député Manassé Nzobonimpa
Manassé Nzobonimpa : Quand tu observes le rang qu'occupe notre pays au niveau international, et le vol des deniers publics ; si tu regardes sa place dans les pays de l'Afrique de l'Est, c'est en vérité, te dirais-je, un fléau. C'est une tragédie qui frappe le Burundi. Car comme vous le savez, notre pays est pauvre, la population a faim, touchée par des épidémies comme celle à laquelle nous assistons de la malaria... Donc, comprends-tu, avec une telle situation [de corruption] alors que la situation est comme celle-là, en tant que Burundais, tu ne peux pas ne pas avoir peur ! Les gens meurent devant tes yeux... C'est quand tu te rends à l'intérieur du pays que tu mesures la gravité de la situation : des enfants squelettiques, frappés de kwashiorkor, les femmes n'ont pas de quoi se vêtir...

Ali Yussuf Mugenzi : Mais est-ce que cela est le résultat de la corruption ou de la pauvreté générale du pays ?

Manassé Nzobonimpa :
 Non ! Laisse-moi te dire franchement que le Burundi n'est pas un pays pauvre. Pas du tout ! Premièrement, c'est un pays dans lequel tombe à suffisance la pluie, avec des cours d'eau, un sol fécond, des minerais (or, nickel), auxquels s'ajoutent semble-t-il du pétrole. Ceux qui disent que le pays est pauvre se trompent : que manquons-nous ? Le cœur d'aimer et de construire ce pays. Car, voyez-vous notre place au niveau mondial : parmi les dix premiers pays à être gangrenés par la corruption et les malversations économiques. Comment un tel pays pourrait-il ne pas être pauvre, alors que des milliards sont détournés par cinq ou dix personnes ?

Ali Yussuf Mugenzi : A l'heure où nous parlons, il y a un six mois et une semaine que le président Nkurunziza a lancé ce que nous appelons tolérance zéro contre la corruption. Quelle étape franchi dans cette mobilisation, selon vous?

Manassé Nzobonimpa :
 Mais quelle étape justement alors que nous passons des jours à crier ? Oui, c'est vrai que le jour où Son Excellence le Président Pierre Nkurunziza a livré le message à la nation, toute personne, et même, dirais-je, la Communauté internationale, s'est sentie soulagée. Et nous sommes tous reconnaissants par rapport à ce très beau discours, en déclarant 'la tolérance zéro' : c'est à dire qu'il n'y aurait de moindre quartier de pardon pour ceux qui usent de la corruption ou détournent les biens publics. Mais ! Dans ces six derniers mois, promène-toi un peu au Burundi et observe comment les choses se passent : maintenant, c'est comme si les gens étaient engagés dans une course pour voler le plus avant que le pays nous échappe !

Ali Yussuf Mugenzi : Dirait-on alors que le Burundi est en train de perdre dans cette lutte contre la corruption?

Manassé Nzobonimpa :
 Bien sûr ! Mais comment ne pas perdre alors que l'on est maintenant plus préocuppé à prendre des résolutions contre moi parce que j'ai osé crier sur des milliards de Fbu qui sont pillés. As-tu entendu comment on m'a condamné à la Pilate ! On me court derrière, on planifie de me faire du mal... Alors que je suis en train d'aider l'État, pour que ce combat annoncé par le  Chef de l'État soit soutenu, renforcé par l'apport de tous ! Vois-tu, je suis devenu un criminel, on est à ma chasse comme du gibier. Au lieu que ces voleurs [des deniers publics] soient poursuivis, on court plutôt à mes trousses ! Alors que je dis même pas des choses cachées, mais des affaires visibles, avec des preuves, que le monde entier pourrait venir vérifier pour dresser l'authenticité de mes propos.

Ali Yussuf Mugenzi : A cette heure, as-tu peur de rentrer au pays pour affronter ceux-là qui en veulent à ta vie ? 

Manassé Nzobonimpa :
 J'ai déjà lâché ma vie pour que le combat contre la corruption qui frappe le peuple porte. Depuis que je me suis engagé dans ce combat, on a déjà failli attenter à ma vie à trois reprises. Je l'ai su à l'avance, car dans ce Burundi, il y a des enfants que j'ai nourris et qui sont maintenant dans l'Armée, la Police, les Renseignements,... il y a des enfants, des pères de familles, de jeunes hommes que j'ai accueillis et nourris au front. Mes propres enfants [biologiques] ne passent plus la nuit dans ma maison. Des groupes [d'intimidation] qui ont été créés passent des journées à la porte de mon habitation. Je voudrais t'avouer que dans ces derniers trois jours, j'ai appelé le Chef d'État-Major Général des Armées pour lui demander des militaires afin de protéger mes enfants. Il m'a juré de ne m'en donner aucun. J'ai envoyé un message au Ministre chargé de la Sécurité : aucun policier accordé ! De telle façon que je me suis déjà décidé : qu'ils fassent ce qu'ils veulent, mais ils ne m'empêcheront pas de rentrer. Laisse-moi le dire aux Burundais et à la Communauté Internationale : je mourrai dans ce pays ! Je ne laisserai pas huit millions de personnes mourir de faim, se faire voler ses biens alors que l'argent détourné par un petit groupe qui ne dépasse pas dix personnes est le leur. J'ai juré de me battre contre la corruption jusqu'à mon dernier jour. Que l'on se prépare : je rentre bientôt. Vous avez peut-être suivi l'affaire que nous avons révélé et qui concerne un détournement de 13 milliards de Fbu qui ont disparu dans les poches de quelques hommes.

Ali Yussuf Mugenzi : Tu évoques des intentions d'en vouloir à ta vie... Est-ce l’œuvre de groupes de gens ou l''État?  

Manassé Nzobonimpa :
 De mon entendement, être poursuivi pour des propos comme les miens ne peut être l’œuvre que de ces gens qui se disent : « C'est notre fin, Manassé a révélé notre secret... » Mais dis-moi, si tu as 15 milliards de Fbu, que ne ferais-tu pas dans ce pays ? Même cinq millions, c'est largement suffisant pour faire disparaître la vie de quelqu'un.

Ali Yussuf Mugenzi : Tu affirmes avoir appelé des autorités pour qu'ils accordent une protection destinée à tes enfants, mais est-ce que cette question a été soumise au Président de la République lui-même?

Manassé Nzobonimpa :
  Je n'ai pas encore eu de rencontre avec le Président de la République depuis que j'ai entrepris cette lutte contre la corruption. Je ne sais pas à l'heure actuelle s'il me recevrait, ou pas... De toutes les façons, quand on est à mes trousses, les radios en parlent, la population dénonce, et il l'entend. Il sait aussi ce que nous nous sommes promis quand nous étions encore au maquis, réunis à Migano. Nous programmions ce que nous allions réaliser pour le peuple : et il n'y avait nulle trace de corruption. Il entend de toutes manières les plaintes des Burundais, et les miennes. S'il ordonnait que l'on me protège, ainsi que mes enfants, cela ne serait-il pas fait ? Je pense que ce qui se passe dans ce pays est un mystère, il n'y a pas d'autres mots.

Ali Yussuf Mugenzi : D'après tout ce que j'ai entendu de tes déclarations, ce combat dans lequel tu t'es individuellement engagé, tu le partages avec le Président de la République du Burundi, dans son discours tenu le 28 août 2010. Quel conseil lui donnerais-tu?

Manassé Nzobonimpa :
 Ce que j'aurais à lui dire, je le lui ai toujours dit car je n'étais pas si éloigné de lui. Lui-même se rappelle que lors de ma dernière audience à la Présidence de la République, je lui ai montré les cas de malversations, de corruption, donné des noms sur lesquels des recherches devraient être entreprises pour élucider certaines affaires de détournement. Il s'en souvient, que Dieu le Tout-Puissant me soit témoin. Et à partir de ce moment ont débuté des menaces à mon endroit. Des gens avec lesquels nous partagions des convictions me regardaient désormais avec mauvais œil, d'autre comme si j'étais un criminel. Je me suis tu ! Mais en constatant que la situation s'empirait, je me suis dit : « Vaut mieux mourir après avoir parlé! » Le seul conseil que je lui ferais est de se souvenir de ce que nous nous sommes pris : nous avons passé ensemble neuf ans dans le maquis, nous avons tout partagé, mangé ce qui ne doit pas l'être... Il connaît le pacte en trois points scellé dans le maquis : respecter les Droits de l'homme, préserver les biens du peuple et l'utiliser pour son développement, lutter contre toute cause qui viserait à attenter à la vie des citoyens. Mais ce qui reste étrange pour moi et qui souligne la gravité de la situation, c'est que des gens ont été pointés du doigt par l'Inspection Générale de l'État dans des dossiers clairs de malversations économiques. Et maintenant on se retrouve à traquer Manassé parce qu'il est en train de répéter ces cas de détournements, alors que les présumés coupables sont royalement installés, utilisant par contre l'argent détourné pour financer des atteintes à ma vie. Si par chance tu découvres celui qui t'a volé, ne t'empresses-tu pas de le dénoncer, de l'arrêter ? Laisse-moi dire aux Burundais et à la Communauté internationale que je suis injustement poursuivi.

Ali Yussuf Mugenzi : Es-tu toujours au Cndd-Fdd?

Manassé Nzobonimpa :
 Bien sûr ! Le Cndd-Fdd est un mouvement pour lequel j'ai tant donné, mangé ce qui ne devrait pas l'être, je suis parmi les très rares personnes, moins de cinq, qui l'ont fondé en 1994. J'ai lutté pour ce parti, des combattants sont morts dans mes bras, des citoyens sont morts sous mes yeux dans cette lutte... Je suis encore un Mugumyabanga [Qui-garde-le-secret] du Cndd-Fdd.

Ali Yussuf Mugenzi : Je t'ai posé la question suite aux déclarations du porte-parole du Cndd-Fdd qui estimait que le parti te considérait comme un traître parce que ce que tu devrait dire dans le parti, tu le dit dans les médias!

Manassé Nzobonimpa :
 Cher ami le journaliste, si je m'engage à lutter contre les pilleurs des deniers publics, est-ce combattre le parti ? Si tu consultais les lois du Cndd-Fdd, les textes fondamentaux de notre parti, penses-tu trouver des passages qui soulignent que « tous les Bagumyabanga sommes des voleurs »? Je suis toujours un indéfectible Mugumyabanga. On m'enterrera dans mon parti ! On dit que je suis dans l'ADC Ikibiri, que j'aurais quitté le parti... Mais ils devraient plutôt le quitter, eux, qui ne savent pas les origines du parti. Ceux que tu entends sont ceux-là même qui nous attaquaient, qui ont pris les vies de nos enfants. Bien après, nous avons décidé de les accueillir, pour leur apprendre le bien et le mal. Comment me chasseraient-ils d'un parti dont ils ne savent ni les origines, ni d'où nous l'avons tiré ? Ils amèneront mon cadavre dans ces pseudos nouveaux partis dans lesquels ils veulent me mettre, mais pas Manassé tant qu'il est encore vivant !

Ali Yussuf Mugenzi : Merci pour cet entretien!
Manassé Nzobonimpa :
 Merci à vous aussi!




Ngenzirabona

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