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A Johannesburg, en début de semaine, il y avait foule pour regarder la parade de la police à Sandton, le quartier des affaires. Hélicoptères dans le ciel, flot de voitures de patrouille sur le macadam et scènes d'intervention des forces de l'ordre.
Il s'agissait de montrer que les hommes en uniforme se tiennent prêts à toute éventualité quand le monde entier aura les yeux fixés sur l'Afrique du Sud, d'ici trois semaines, pour le début de la Coupe du monde de football. Lundi 17 mai, il y avait donc des caméras, des embouteillages, du soleil et beaucoup de bonne humeur. C'était déjà un peu le Mondial.
Le soir, chacun a pu méditer la portée de l'événement en apprenant l'arrestation, à Bagdad, de deux hommes qui, selon les déclarations du gouvernement irakien, auraient été en train de préparer des attentats ici, pendant la compétition.
L'émotion suscitée par la nouvelle a été à peu près nulle. D'abord, le pays a surmonté de bien plus gros obstacles dans le passé. Et les seuls véritables désastres connus sont ceux de la pauvreté, du chômage (près de 40 % selon l'OCDE), et les ravages de la pandémie de sida.
Pour le reste, tout ira bien, c'est promis. Le ministre adjoint de la police l'a dit à sa façon sur la Radio 702 : "C'est la Coupe du monde de la population, pas celle de la police. Les gens ne viendront pas pour voir la guerre, ils viendront pour se distraire."
Oui, l'heure est à l'optimisme, tout particulièrement dans les îlots de prospérité du pays. Les habitants des quartiers riches du nord de Johannesburg, où n'est enregistrée qu'une fraction infinitésimale des 50 morts violentes par jour dans le pays, n'ont pas abandonné leurs clôtures électrifiées, leurs barrières avec gardes, leurs compagnies de sécurité, mais ils assurent, la main sur le coeur, qu'ils vivent dans une parfaite tranquillité d'esprit. Puisqu'on vous dit que tout ira bien !
A quelques centaines de mètres de la parade policière de Sandton avait lieu, le surlendemain, un petit déjeuner nettement moins fréquenté, où de hauts responsables du Fonds monétaire international (FMI) venaient présenter les perspectives économiques de l'Afrique subsaharienne pour 2010. Elles sont très prometteuses. La croissance moyenne se rétablit après l'impact de la crise financière.
L'Afrique du Sud, qui sort de la récession, pourrait atteindre une croissance de 2,6 % en 2010, selon Abebe Selassie, le représentant du FMI pour le pays. La région (44 pays au sud du Sahara) devrait atteindre près de 5 % de croissance (contre 2 % en 2009) cette année, tirée en avant par des réformes, l'exploitation des matières premières, mais aussi l'intensification des relations commerciales avec les pays d'Asie, qui comptent parmi les plus dynamiques de la planète.
Il y a eu moins d'investissements étrangers en Afrique pendant les deux dernières années ? "Cela est compensé par l'augmentation du prix des matières premières", ont calculé les économistes du FMI. Les 44 pays recensés au sud du Sahara, sauf accident, devraient renouer avec la période de croissance la plus importante du continent depuis les années 1960, c'est-à-dire depuis les indépendances. C'est naturellement une nouvelle d'une importance considérable.
Quand commencera la Coupe du monde, qui a été pensée comme la Coupe de toute l'Afrique, cela sera-t-il visible, ou la police va-t-elle encore confisquer le spectacle ? De plus, le monde entier va regarder l'Afrique du Sud, mais risque de ne pas beaucoup voir le reste du continent. Ce ne sera pas la première fois. En avril 1994 étaient organisées les premières élections multiraciales de l'histoire du pays. Nelson Mandela allait devenir président. L'apartheid finissait de s'effondrer. C'était la grande et belle nouvelle d'Afrique. Au moment où les millions d'électeurs sud-africains noirs se préparaient à voter pour élire enfin leur président, un événement survenait à plusieurs milliers de kilomètres. Dans la soirée du 6 avril, trois semaines avant le scrutin, l'avion du président rwandais, Juvénal Habyarimana, était abattu, donnant le signal de départ du génocide au Rwanda. Le monde, alors, avait détourné le regard, refusant d'absorber deux nouvelles en provenance, pourtant, de lieux si éloignés.
Cette fois, le risque est le même. Une compétition a autant de chances d'informer que de déformer les perspectives sur le continent où les matches auront lieu. Déjà, un ami de Bujumbura (Burundi), après avoir regardé les chaînes d'informations, faisait l'autre matin la remarque suivante : "Quinze minutes sur l'entorse à la cheville du capitaine de l'équipe d'Allemagne, et sur le Burundi, rien, alors qu'on a quand même eu cinq morts ce week-end." Oui, au Burundi, il y a eu des assassinats dans le cadre d'un processus électoral qui commence vendredi et s'annonce délicat. Ce n'est pas une success story africaine, simplement la réalité à l'oeuvre.
Il n'y a aucune contradiction entre les deux termes et, du reste, la constatation que faisait le poète américain Walt Whitman vaut bien pour un continent : "Je suis en train de me contredire ? Qu'à cela ne tienne, je me contredis ! (Je suis immense, je contiens des multitudes)."
Admin@2010
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