Le Soir(blog)
Léonard Nyangoma |
Afin de présenter un front commun face à la médiation internationale, dirigée par le président ougandais Yoweri Museveni et d’engager un dialogue avec le régime de Bujumbura, plus de 60 représentants de la diaspora burundaise se sont discrètement réunis à Bruxelles autour de Léonard Nyangoma, un personnage clé de la vie politique du pays depuis deux décennies et d’Audifax Ntabitoreye, représentant de la société civile. Après avoir été l’un des fondateurs du parti au pouvoir, le CNDD (Conseil national pour la défense de la démocratie) créé après l’assassinat du président hutu Melchior Ndadaye, en 1993, Léonard Nyangoma préside aujourd’hui le CENARED (comité national pour le respect des accords d’Arusha et le respect de la Constitution et de l’état de droit).
Cette structure collégiale accueille de nombreuses personnalités issues de la société civile mais aussi le deuxième vice président de l’Assemblée nationale et trois des quatre ex-présidents du vivent au Burundi après avoir pacifiquement cédé le pouvoir.
Après avoir fait sa première apparition publique à Addis Abeba, le comité tente à présent d’informer et de mobiliser la diaspora burundaise, très active en Belgique et dans les pays voisins.
Ayant participé à la création du CNDD, M. Nyangoma a très bien connu le chef de l’Etat actuel Pierre Nkurunziza, qui a rejoint le parti en 1996 les armes à la main : « l’intransigeance dont il fait preuve est sans doute due à la faiblesse de sa culture politique et à la prééminence de sa formation militaire… A quoi s’ajoute l’appât de l’argent, le désir de « se servir », ce qui explique pourquoi, au cours des dix dernières années, le Burundi n’a pu se redresser sur le plan économique ou social et a connu plusieurs scandales, comme l’incendie du grand marché de Bujumbura et de plusieurs marchés de province, le dernier en date étant celui du marché de Gitega voici deux jours. »
Optimiste, M. Nyangoma qui a traversé la guerre civile des années 90, estime que « jusqu’à présent, le Burundi a échappé au piège ethnique. A Arusha, après avoir discuté durant des mois, nous avons finalement remporté une grande victoire contre le tribalisme. Même si le régime actuel voudrait relancer l’opposition hutu/tutsi, les Burundais ne sont plus dupes : jusqu’aujourd’hui, l’ « esprit d’Arusha » rayonne sur tout le pays. A terme nous envisageons d’ailleurs de réécrire nous-même notre histoire, afin de balayer définitivement les vieux clichés issus de l’époque coloniale… »
A propos de l’assassinat du chef des services de renseignements, le général Adolphe Nshimiyrimana, M. Nyangoma assure : «nous regrettons qu’il soit mort de cette façon. Nous aurions préféré qu’il puisse répondre de tous ses crimes devant la justice. La voiture dans laquelle il se trouvait était un véhicule militaire, c’est pourquoi nous réclamons une enquête neutre. …Cette mort ouvre une nouvelle ère de représailles : alors que la plupart des journalistes sont déjà en exil, Esdras Nkidumana, le correspondant de RFI a été roué de coups, beaucoup de personnalités se trouvent dans le collimateur, le dernier rapport de Human Rights Watch a démontré que le Burundi était dorénavant une prison à ciel ouvert. Massacres, disparitions, assassinats se multiplient…»
Comment la communauté internationale peut-elle aider le Burundi à sortir de la crise ? « N’oubliez pas que le pays dépend, à 80% , de l’aide étrangère… Des pressions diplomatiques sont possibles, les membres de l’oligarchie peuvent être privés de visa…Il faut peser sur le rapport de forces…La Belgique a d’ailleurs donné l’exemple en suspendant une partie de son aide. »
A Bruxelles, tout au long de la réunion avec les représentants de la diaspora, les scenarios de sortie de crise ont été envisagés et M. Nyangoma a rappelé qu’ « après le 26 août, date de l’expiration du deuxième mandat présidentiel, il faudra amener M. Nkurunziza à quitter pacifiquement le pouvoir, car les dernières élections ne comptent pas, c’était une mascarade. Il faudra donc préparer de nouvelles élections, et avant cela, rétablir un minimum de conditions de sécurité, désarmer les Imbonerakure (miliciens à la solde du parti au pouvoir), rétablir un climat d’apaisement, créer un les conditions d’un vote dans la dignité, refaire un recensement électoral…. Une période de transition sera sans doute nécessaire…»
« Jusqu’à présent cependant » constate M. Nyangoma, « le pouvoir a refusé toute négociation mais, au titre de médiateur, le président Museveni va reprendre la discussion, à Addis Abeba ou ailleurs et Mme Zuma, la présidente de l’Union africaine, souhaite également s’impliquer… »
Alors que tous les signaux sont au rouge, le président de la nouvelle coalition refuse cependant de céder au pessimisme : « je ne crois pas que le scenario de 1994 au Rwanda pourrait se reproduire. Certes, le risque n’est pas nul, il faut demeurer vigilant, le passé a laissé des séquelles. Mais il n’y a pas de haine entre les citoyens burundais, je n’envisage pas la possibilité d’une guerre fratricide. Le pire peut encore être évité. Et si nous y arrivons, le Burundi, par sa conscience démocratique, par la détermination de ses citoyens, pourra être cité en exemple, car même lorsque la police tirait sur eux, les manifestants ont tenu bon, durant des semaines… »
Le troisième mandat présidentiel valait-il réellement tous ces troubles ? « La question de fond va bien au-delà : ce que les Burundais rejettent, c’est un pouvoir prédateur, criminel, qui a multiplié les assassinats, qu’il s’agisse des membres du FNL ou des trois religieuses italiennes, quii a commis 1600 enlèvements. C’est contre le système que les Burundais se sont soulevés, ce peuple est digne, courageux, il a tenu bon et pourrait être cité en exemple dans toute la région. »
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