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29 avril 2015

Burundi : voir un pays mourir sous nos yeux

Le Journal de Montréal
C’est samedi dernier que le président burundais a annoncé qu’il briguerait un troisième mandat, en dépit de la loi constitutionnelle qui le lui interdit. Vingt quatre à peine plus tard, les premières victimes de la répression policière contre des manifestants arrivaient à la morgue. Le Burundi se rapproche dangereusement d’une monstrueuse tragédie. Le monde peut-il regarder les bras croisés ?

Été 2005, le Burundi réapprend l’exercice démocratique. Après plusieurs années d’une lancinante guerre civile qui a fait des centaines de milliers de victimes, l’ONU a convaincu les différents acteurs politiques et militaires à s’en remettre au verdict des urnes. À la baguette, Carolyn McAskie, une énergique Canadienne qui se dit assurée qu’après un premier scrutin à l’issue acceptée de tous, le Burundi allait peu à peu se défaire de ses démons des divisions ethniques, régionales et claniques.

Pierre NKURUNZIZA
Le profil du favori à ces élections rassure les analystes étrangers. Candidat du CNDD-FDD, Pierre Nkurunziza a le charisme d’une feuille morte, mais une bonhomie qui le rend somme toute attachant. « Il sera un Pape de transition, me prédit un diplomate. Il est sans envergure. Il est plus passionné par le foot et les activités de son Église que par les magouilles politiques. C’est ce qu’il faut pour désenvoûter les Burundais de leur obsession politique partisane... » C’est vrai que quand je rencontre ce candidat singulier, il m’apparaît inoffensif ; à la limite, on le soupçonnerait d’être manipulé par des hommes de l’ombre au sein de son parti.

Dix ans plus tard, force est d’admettre que nous avons tous eu tort de sous-estimer l’animal politique. Il s’est avéré être plus retors qu’on ne l’eut pensé. Réussissant même à se défaire d’amis et mentors devenus trop pesants, au risque de lui faire de l’ombre. Puis, il semble avoir pris le goût au pouvoir, le bougre. Ainsi, bien que la constitution l’interdise, il brigue un troisième mandat, en invoquant un changement de la loi fondamentale qui aurait eu pour conséquence d’effacer ses premières années au pouvoir de la comptabilité. L’opposition  n’est pas d’accord. La société civile non plus. La toute puissante Église catholique est même sortie de sa réserve habituelle pour dénoncer ce qui lui apparaît comme un illégitime coup de force. Les puissances étrangères et les diplomates internationaux n’apprécient pas, et c’est peu dire.

Mais Pierre Nkurunziza n’a que faire de ces condamnations unanimes. Non seulement va-t-il être au rendez-vous électoral de fin mai prochain, il s’offre en plus le luxe d’en définir les règles du jeu tout à son avantage : commission électorale qui n’a d’indépendant que son nom, les mécanismes de ce scrutin volontairement maintenus opaques, les opposants politiques jetés en prison ou menacés de poursuite sous de douteux chefs d’accusation, la presse muselée, les critiques internationales systématiquement priées d’aller se faire cuire un œuf, etc. Bref, tout est mis en place pour s’assurer d’un sacre plutôt d’un exercice démocratique honnête.

LE SCÉNARIO DU PIRE

Dès l’annonce ce samedi de la candidature du président sortant pour un nouveau mandat, les condamnations internationales se sont multipliées. La Belgique, les États Unis, l’Europe, la Francophonie et bien d’autres organisations ont mis en garde contre un risque de catastrophique embrasement général au Burundi. Mais il faudra plus que de simples mots, car la roue de l’abomination s’est mise en branle. L’aile jusqu’au-boutiste  du parti au pouvoir a donc pris l’ascendant et n’entend désormais plus reculer. Quitte à descendre même son poulain s’il venait à montrer le moindre signe de faiblesse. Il faudra donc plus que des déclarations molles pour faire face à la ferme résolution de ces radicaux.
« Un génocide est peu probable, m’a cependant assuré un observateur. La dimension ethnique joue un rôle minime dans la crise actuelle au Burundi. Et puis, dans les villages hutus, il ne reste presque plus de tutsis à abattre. » Nous voilà donc rassurés. On peut désormais dormir tranquille. Nous n’aurons droit qu’à une « banale et classique horreur africaine ». Mais croyez-moi, ce qui risque de se passer au Burundi est encore plus terrifiant qu’on ne le laisse dire. S’appuyant une milice aussi brutale que loyale, le CNDD-FDD a le pouvoir de déclencher l’abomination sur l’ensemble du territoire. Ces jeunes ont reçu des armes et, semble-t-il, des instructions claires pour déclencher les hostilités quand ils en recevront l’ordre. Cela n’est pas sans rappeler la stratégie du recours aux milices Interahamwe lors du génocide au Rwanda.

Même aux heures les plus sombres de la guerre civile au Burundi, la presse a toujours joui d’une relative liberté lui permettant de jouer un rôle positif et influent dans le dialogue politique et social. C’est sur les ondes des radios privées que les Burundais entendirent pour la première fois les voix des différents chefs rebelles qui allaient ensuite troquer leur treillis militaire pour des costumes politiques. De tout temps, la tentation de mettre au pas les médias indépendants a été grande auprès des autorités en place. Rarement  cette répression n’a été appliquée avec autant de brutalité que ne le fait le pouvoir actuel. Dimanche, la police est même entrée dans certaines stations de radio pour les fermer manu militari. Qu’on le sache donc, Pierre Nkurunziza et son parti sont décidés à faire taire toute voix de la contestation.

Ce qui se passe au Burundi aujourd’hui est grave et très grave. Et c’est à la fois un précédent et une continuation des dérives sanglantes qui ne cessent d’endeuiller le continent africain. Après que le monde ait levé le pied sur les pressions qu’il exerçait sur les présidents kényan, soudanais, zimbabwéen et d’autres pour des crimes de sang dont ils s’étaient rendus coupables, le chef d’état burundais a conclu que toute condamnation internationale avait finalement date de péremption et qu’on finirait par oublier tous les morts qui pourraient joncher sa route vers un troisième mandat. Puis, il établit un précédent dans une région où différents autres présidents (Rwanda, RDC, Congo) sont soupçonnés d’être tentés par des rafistolages législatifs pour prolonger leur pouvoir au delà de ce que les constitutions actuelles leur autorisent. C’est là l’explication de ce silence africain qui prétend être simplement mû par le souci de ne pas «s’ingérer dans les affaires internes d’un pays souverain ».

Mais qu’il soit aujourd’hui dit et entendu, si nous n’intervenons pas à temps pour empêcher le Burundi de sombrer, il ne faudra pas ensuite se contenter de poursuivre les responsables directs de la tragédie. Nous devrons tous répondre également du crime de non assistance à peuple en danger. 

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