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Pierre Nkurunziza |
La communauté internationale multiplie ces derniers jours les appels et les initiatives pour tenter d'éviter une crise politique au Burundi, pays enclavé du centre de l'Afrique. Le président Pierre Nkurunziza est soupçonné par des membres de l'opposition et de la société civile de vouloir briguer un troisième mandat, alors que la limite est fixée à deux présidences consécutives par la Constitution. Un scénario proche de celui qui avait cours au Burkina Faso l'automne dernier et qui avait conduit à la chute du pouvoir.
Un groupe d'anciens chefs d'États, appelés les Elders et menés par Kofi Annan (ancien secrétaire général de l'ONU), se sont déplacés jeudi 12 mars au Burundi, pour réclamer le respect de la limitation du nombre de mandats présidentiels. Le lendemain, les ambassadeurs français, américains et angolais du Conseil de sécurité ont appelé les autorités burundaises à prendre leurs décisions « pour la paix ».
Ce week-end, la Belgique a débloqué 300.000 euros pour financer une mission d'observation des élections dans cette ancienne colonie belge.
Les voix se font également de plus en plus fortes à l'intérieur du pays. Le parti au pouvoir n'hésiterait pas à mater l'opposition d'après Amnesty International ou exercer une pression sur les médias. Un mois avant cette double visite de représentants de la communauté internationale, les rues de la capitale burundaise, Bujumbura, s'étaient remplies, le 19 février, de dizaines de milliers de manifestants venus accompagner la libération de prison d'un directeur d'une radio locale, pour montrer au pouvoir qu'ils n'accepteraient pas un troisième mandat consécutif. L'Église catholique burundaise a aussi demandé, samedi 7 mars, au président de ne pas se représenter. Le lendemain, un dissident du président, Hussein Radjabu, s'est échappé de prison. Il serait en exil.
Le Burundi est une ancienne colonie du Royaume de Belgique, située en Afrique de l'est, qui a retrouvé son indépendance en 1962. Deux ethnies, présentes aussi au Rwanda voisin — les Hutus et les Tutsis — se sont opposées de 1994 à 2008 au cours d'une sanglante guerre civile (plus de 300 000 morts). Les accords d'Arusha, signés en 2000, ont permis de stabiliser relativement le pays, permettant en 2005 d'organiser une élection, celle qui a désigné le président actuel, Pierre Nkurunziza. Aujourd'hui encore, la plupart des acteurs de la vie politique et institutionnelle burundaise se réclament des accords d'Arusha.
Les accords d'Arusha et la Constitution adoptée en 2005 limitent, tous deux, le nombre de mandats présidentiels au nombre de deux consécutifs. Si les deux textes sont sur la même longueur d'onde, la Constitution est plus précise puisqu'elle stipule que cette limite s'applique à un président élu « au suffrage universel direct, » alors que les accords d'Arusha ne précisent pas ce détail.
En 2005, le président n'avait justement pas été élu au suffrage universel direct, mais par le Parlement de post-transition. De fait, les soutiens du Président Nkurunziza estiment que leur chef n'a pu faire qu'un seul mandat (de 2010 à 2015) avec le sceau du suffrage universel, et aurait donc le droit d'enchainer avec un troisième mandat. La vraie question est alors de savoir quel document va primer : la Constitution ou les accords d'Ashura.
Une mobilisation qui tient
Christine Deslaurier est chargée de recherche à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD). Contactée par VICE News, elle explique que ce soutien de la communauté internationale n'est que « la cerise sur le gâteau dans la campagne contre un éventuel troisième mandat du président Nkurunziza ».
Les Burundais sont en effet mobilisés depuis le mois de mars 2014, lorsque le président avait essayé — sans succès — de modifier la Constitution pour s'assurer la possibilité de briguer un troisième mandat. « Le mouvement [de contestation contre le pouvoir] a vraiment explosé et pris une ampleur considérable le 19 février dernier, lors de la manifestation qui a suivi la libération de Bob Rugurika, le directeur de la radio RPA [Radio Publique Africaine], » explique Deslaurier.
La spécialiste explique que les Burundais venaient sans doute autant soutenir la radio RPA que son directeur personnellement, qui est devenu le symbole du ras-le-bol face aux méthodes du pouvoir. « Cette radio est la voix des sans-voix au Burundi et a toujours dévoilé les grands scandales du moment, quel que soit le pouvoir en place. » La manifestation a été d'une telle importance que le pouvoir s'est senti obligé de répondre par des contre-manifestations tenues partout dans le pays, le 28 février. La radio RFI rapporteles témoignages de collégiens burundais qui auraient été obligés de venir défiler pour offrir l'image d'un pouvoir soutenu par sa population.
Christine Deslaurier ajoute que l'évasion de prison du dissident Hussein Radjabu, le 8 mars dernier, a mis un nouveau coup au moral du pouvoir en place. « Radjabu s'est évadé grâce à l'aide de gardes de la prison et témoigne de la forte tension qui règne au sein du parti du président, le CNDD-FDD. » L'évasion d'un dissident de cette importance n'a probablement pas pu se faire sans l'aide de forces à l'intérieur même du parti. De nombreux frondeurs ont été écartés du parti des derniers mois.
Radjabu a été arrêté et mis en prison en 2007, condamne à 13 ans de détention, alors qu'il était le chef du parti présidentiel — le CNDD-FDD. Jugé trop puissant par le Président Nkrurunziza, il a été envoyé en prison. « Pourtant, je ne crois pas que Radjabu puisse revenir au Burundi pour la présidentielle. C'est un fugitif, donc légalement il ne peut pas se présenter. Mais il n'est pas impossible de penser qu'il envoie d'autres candidats. »
L'opposition sous pression
Ce samedi 14 mars, la femme d'une figure de l'opposition, Agathon Rwasa, a été blessée par balle dans un salon de coiffure de la capitale burundaise. Au Burundi, on assiste depuis près de 10 ans à un véritable harcèlement de l'opposition. « On règle les choses de manière souvent brutale, il y a eu des meurtres les années passées, » détaille Christine Deslaurier.
L'État burundais est dépendant de la communauté internationale, son budget est à 55 pour cent financé par des bailleurs internationaux nous explique la spécialiste. Ce poids pourrait peser sur la présidence actuelle .
Pour l'heure « Pierre Nkurunziza s'estime légitime dans son combat pour enchaîner un nouveau mandat, » explique Christine Deslaurier. « Il a quand même une légitimité rurale [qui est largement favorable au président], et il faut se rappeler que son parti, le CNDD-FDD, n'a pas signé les accords d'Arusha. Donc il ne voit pas pourquoi il devrait s'y soumettre. »
La spécialiste du pays estime que, « La pression va continuer à monter dans le pays. Une solution pour le président serait peut-être de lancer un autre candidat de son parti. D'autant plus que le contexte africain n'est actuellement pas très favorable à ces tentatives de passage en force. » Au Burkina Faso, le président Blaise Compaoré, avait été poussé du pouvoir alors qu'il briguait un troisième mandat.
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