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25 février 2015

Burundi:Les Pays-Bas devraient réagir fermement aux exécutions sommaires.

Human Rights Watch
À la fin du mois de décembre dernier, un groupe d'hommes bien armés est entré sur le territoire du Burundi en provenance de la République démocratique du Congo voisine. Il semble que leur objectif était d'établir une base rebelle dans la forêt de la Kibira, près de Cibitoke dans le nord-ouest du pays, à partir de laquelle ils pourraient « mener la guerre » contre le gouvernement burundais.

Des affrontements ont rapidement éclaté entre ce groupe armé et l'armée burundaise, et des dizaines de combattants ont été faits prisonniers ou se sont rendus aux forces de sécurité. L'armée et la police ont alors exécuté sommairement au moins 47 membres du groupe armé. Des membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure, ont également participé à ces meurtres.

Je me suis entretenu avec 32 témoins oculaires des meurtres commis à Cibitoke. Un témoin qui a assisté à l'exécution sommaire de six combattants capturés le 1er janvier, au bord de la rivière Kaburantwa, m'a affirmé que la police avait lié les mains de ces hommes derrière leur dos, les avait fait s'allonger sur le sol et les avait tués l'un après l'autre d'une balle dans la tête.

Un autre habitant de la région, qui a vu des policiers et des militaires abattre 17 combattants après les avoir capturés, m'a déclaré: « Les hommes ont été alignés le long de la route. Puis ils ont été tués par balles tirées dans le dos. Ils ont été abattus par les militaires et par les policiers. Sur le bord de la route, il y avait un ravin dans lequel ils sont tombés. » Le témoin a décrit comment les Imbonerakure sont descendus dans le ravin et ont frappé les corps de ces hommes à coups de machette pour s'assurer qu'ils étaient bien morts.

Les forces de sécurité burundaises ont, bien sûr, la responsabilité de défendre les citoyens contre la violence, mais cela ne leur donne pas le droit de tuer les personnes qu'elles appréhendent. Bien que particulièrement horribles, les meurtres de Cibitoke ne sont pas les premiers du genre au Burundi, où les forces de sécurité ont fréquemment recouru dans le passé à la violence contre leurs propres concitoyens.

Le 12 mars 2013, des policiers burundais ont tiré à balles réelles sur une foule de plusieurs centaines de fidèles appartenant à un mouvement spirituel informel à Businde, dans le nord du pays. Neuf adeptes ont été tués – dont deux adolescentes – et des dizaines d'autres ont été blessés. Après les tirs, les policiersont sévèrement battu les fidèles ayant survécu. Une femme que j'ai interrogée en 2013 m'a déclaré: « Ils m'ont frappée, ils m'ont frappée, ils m'ont frappée et ils m'ont encore frappée. Ils m'ont battue jusqu'à ce que je puisse mourir... Ils m'ont battue jusqu'à ce que je ne puisse plus sentir la douleur. »

Trois policiers, dont le commandant de l'opération, ont été arrêtés mais deux mois plus tard, ont été remis en liberté provisoire. Presque deux ans après cet incident mortel, ils n'ont toujours pas été jugés.

Les meurtres commis à Businde et à Cibitoke s’inscrivent dans une longue série d'exécutions extrajudiciaires commises depuis plusieurs années par les forces de sécurité burundaises. À la suite des élections de 2010 au Burundi, des dizaines de personnes avaient été tuées de manière particulièrement brutale, dans le cadre de violences à motivation politique. Ces meurtres étaient si graves qu'en novembre 2012, le gouvernement des Pays-Bas -- l'un des plus importants bailleurs de fonds du Burundi -- avait suspendu une partie de son assistance au ministère burundais de la sécurité publique, dans l'attente de progrès dans les enquêtes sur plusieurs cas spécifiques. Mais bien que la plupart de ces meurtres n’aient toujours pas été élucidés, le gouvernement néerlandais a repris son soutien au Burundi en février 2014. 

Les Pays-Bas versent des millions d'euros à la police nationale du Burundi et à son armée sous forme d'aide, notamment pour leur formation. Un accord couvrant une période de huit ans a été signé en 2009, dont la part la plus récente - pour la période allant de septembre 2014 à 2017 - représente un total d'environ 30 millions d'euros. Le gouvernement néerlandais affirme que cette assistance est destinée à « créer un secteur de la sécurité inclusif et professionnel, qui respecte les droits des citoyens et soit responsable devant eux ». Les abus continus commis par les forces de sécurité burundaises jettent le doute sur le succès de cette mission.

Les exécutions extrajudiciaires commises à Cibitoke – l’un des pires incidents de ce type survenus ces dernières années – devrait susciter une réponse forte et sans ambiguïté de la part du gouvernement néerlandais. 

Lorsque Human Rights Watch a rendu publics les résultats de ses recherches sur les meurtres de Cibitoke ce mois-ci, j'ai été encouragé de voir l'ambassadeur des Pays-Bas au Burundi appeler sans tarder les autorités burundaises à mener une enquête exhaustive. Mais appeler à l'ouverture d'une enquête n'est pas suffisant. 

Le gouvernement néerlandais devrait indiquer clairement au gouvernement burundais que sa police et son armée devraient faire rendre des comptes aux responsables des meurtres.

Au lendemain de la publication du rapport de Human Rights Watch, le Procureur général du Burundi a annoncé la création d'une commission d'enquête sur les allégations d'exécutions extrajudiciaires à Cibitoke. J'espère que cette initiative n'aura pas le même résultat que les précédentes enquêtes lancées au Burundi, dont plusieurs se sont soldées soit par la non-publication de leurs observations, soit par une tentative de soustraire à la justice les auteurs d'abus. Avec l'aide des partenaires internationaux du Burundi, la commission sur les événements de Cibitoke peut faire mieux. Le gouvernement néerlandais devrait appuyer cette initiative en offrant son expertise en matière d'investigations ou toute autre forme d'assistance, dans l'optique de préserver l'indépendance de l'enquête et de décourager les ingérences politiques.

Les contribuables néerlandais peuvent également jouer un rôle, en exigeant des garanties que l'argent versé au Burundi en leur nom est utilisé pour restaurer le respect des droits humains – et non pas pour soutenir des forces de sécurité qui tuent des personnes, y compris celles qu'elles sont précisément payées pour protéger.

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