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2 novembre 2013

Burundi:Melchior Ndadaye;martyr de la démocratie ou génocidaire ?

Journal Iwacu

Si l’intitulé semble provocateur, voire iconoclaste, ce n’est qu’en apparence. Le constat fait depuis la disparition tragique de cet homme politique est que malgré la reconnaissance pleine et entière de son idéal de paix et de démocratie par l’immense majorité de la population burundaise, il y a des irréductibles qui le considèrent comme étant l’instigateur de tous les malheurs que le Burundi connaît depuis … au moins son ascension politique vers la fin des années 90i

Melchior NDADAYE
A Mwanza en 1996, Alphonse Kadegeii liait le parti de Ndadaye, Sahwanya-Frodebu, à tous les mouvements violents hutu qui ont existé au Rwanda et au Burundi depuis le Parmehutu de Grégoire Kayibanda des années 50 en passant par le Palipehutu burundais jusqu’aux mouvements de guérilla de la fin du siècle dernier et du début du 21ème siècle. Plus récemment, en Octobre 2005, Charles Nicayenzi poursuivait sur la même lancée et qualifiait l’idéologie de Melchior Ndadaye « d’ethno-centriste ». Dans un texte intitulé Comparaison entre deux supposés héros du Burundi moderne : le prince Louis Rwagasore et le président Melchior Ndadaye iii, Charles Nicayenzi affirme que Melchior Ndadaye a prêché pour les masses Hutu seules. Il a écrit que son objectif politique était triple essentiellement :

- la libération des Bahutu de l’oppression des Batutsi
- la prise du pouvoir par les Bahutu
- l’instauration d’une « démocratie ethno-centriste » c’est-à-dire tournée vers les intérêts du    groupe Hutu uniquement dans le pays

Le Melchior Ndadaye dont parlent ces messieurs me semble être une vue d’un esprit traumatisé par l’histoire moderne du Burundi. L’homme que j’ai côtoyé durant des années et dans diverses circonstances était un être épris de paix, de justice et de pédagogie. Il savait qu’il fallait soigner les esprits malades des Barundi. 

La science psychologique, et particulièrement la psychanalyse, étaient parmi ses sujets majeurs de recherche académique iv. Il parlait souvent d’aider les Barundi « à sortir de leurs ghettos ethniques » ; il savait que les œillères ethniques diminuaient drastiquement le champ de vision psychologique, intellectuel et politique. Il invitait tous les Barundi à se redresser et ne plus avoir peur de l’oppresseur. L’oppresseur qui avait chez nous le visage de la dictature militaire, du parti unique et inique, d’une justice subjective, de l’immoralité qui vicie toute la vie socioculturelle de la nation.

Melchior Ndadaye s’était longuement préparé aux plus hautes responsabilités politiques du pays. Il avait fait sienne la maxime des pères fondateurs de l’UNESCO : « Les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevés les défenses de la paix. »

C’est ainsi qu’au lendemain des tueries dans les communes de Ntega et de Marangara en Août 1988, il s’est levé lors d’une réunion de cadres à Gitega pour proposer un véritable plan de salut national tant du point de vue symbolique, économique que politique. Bien qu’il ait été jeté aussitôt en prison pour avoir montré l’urgence d’une ouverture politique à toutes les tendances républicaines de la nation, ses idées furent suivies.

Malheureusement, elles le furent avec maladresse, précipitation et surtout avec beaucoup de mauvaise foi. Contrairement à ce qui s’est dit et continue à se vendre aujourd’hui, le processus de démocratisation post-crise d’Août 1988 est né à l’aide de forceps !

Pour ce qui est des discours de campagne, je mets quiconque au défi de revisiter systématiquement les discours de Melchior Ndadaye et ses lieutenants et de les comparer aux mêmes dates avec les autres leaders politiques et leurs lieutenants afin de déterminer objectivement qui a injecté les graines de la haine et de la violence au sein de la population. Des documents audio et audio-visuels existent au Burundi et à l’étranger pour que ce travail d’analyse se fasse en toute équité et en toute objectivité.

Parmi beaucoup d’autres, quatre faits dans son action politique , militent à suffisance pour admettre que cet homme était épris de paix et de démocratie pour tous :

  1. Quand il a nommé v, pour la première fois dans l’histoire moderne de l’Afrique, une femme comme premier ministre, cela revêtait une dimension polysémique : la femme était à l’honneur car longtemps opprimée et reléguée au rang d’adulte immature ; il s’agissait d’une personne issue de l’Uprona même si elle n’avait pas été l’objet de négociations formelles préalables avec son parti d’origine ; le premier ministre était d’une ethnie différente de celle du président élu pour rassurer les esprits encore ligotés par les ghettos ethniques ; madame Sylvie Kinigi était et est toujours une amie très proche du président sortant, Pierre Buyoya, pour montrer que rien ne se fera dans l’ombre pour se venger des tortionnaires d’hier, à la communauté internationale, le chef de l’état proposait une personne férue des politiques diffusées par les institutions de Bretton Woods.
  2. Les portefeuilles de la Défense Nationales ont été octroyés à l’armée vi. Il fallait montrer aux forces de défense et de sécurité que rien ne se fera en leur sein sans leur participation pleine et entière.
  3. Lors de son premier discours du haut de la tribune de la 48ème Assemblée Générale des Nations Unies, un des sujets de préoccupation jugé majeur par le président burundais était la prolifération d’armes illégales et de groupes armées dans la sous-région de l’Afrique des Grands Lacs vii. En marge de l’Assemblée Générale, lors de multiples contacts avec d’autres délégations et institutions il n’a pas hésité à faire des propositions concrètes pour éradiquer un fléau qui déstabilise encore les mêmes pays.
  4. Enfin, son attachement profond à la valeur de la liberté du citoyen, au droit du citoyen et sa fidélité indéfectible à la culture de l’état de droit l’ont amené à supprimer tous les cachots extra légaux qui pullulaient dans le pays sous le régime précédent. Plus personne ne devait être emprisonné sans passer par le système judiciaire de l’état en bonne et due forme. Il se privait de facto du pouvoir que bien des dirigeants s’octroient sans état d’âme de nos jours : emprisonner sans mandat, détenir un citoyen en prison sans jugement, détenir un citoyen et le cas échéant le torturer en des lieux inconnus par le système judiciaire…
Voici quelques illustrations qui prouvent à suffisance que Melchior Ndadaye, mieux que Rwagasore, n’a pas seulement formulé de bonnes intentions. Dans le peu de temps que ses bourreaux lui ont laissé, Melchior Ndadaye a mis en branle une politique que personne jusqu’aujourd’hui n’a osé poursuivre et parachever tellement elle était courageuse, généreuse et réellement révolutionnaire.

Si il y a vingt ans notre pays a connu un véritable génocide politique par l’élimination sauvage et brutale de leaders d’une même famille politique pour leurs idées ce n’est pas de la lamentation que d’exiger que justice soit rendue à leur mémoire, à leurs familles et surtout à toute la nation burundaise. Les Barundi ont besoin de se convaincre si oui ou non chaque année ils honorent un vulgaire génocidaire ou réellement un homme exceptionnel digne d’être notre héros de la démocratie.
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i      Ce texte s’inspire presque intégralement de la communication que j’ai faite à l’adresse de la diaspora          burundaise réunie à l’Université de Montréal ce mardi 19 Octobre 2013 pour marquer les vingt ans passés         après la tragédie du 21 Octobre 1993 au Burundi.
ii    Ex Vice-président de la République du Burundi durant la transition post-Arusha sous la présidence de Pierre    Buyoya. Ce fut également un membre prééminent du parti Uprona. Il vit actuellement en exil aux Etats-Unis    d’Amérique.
iii   Cfr http://www.tutsi.org/heros.htm
iv   Ntibazonkiza, Raphaël, Biographie du président Melchior Ndadaye : l’homme et son destin, Sofia, Bulgarian       Helsinki Committee, 1er juin 1996, p 77 et pp 108-109.
v    Le 10 juillet 1993.
vi   Le ministre de la Défense Nationale était le Lieutenant-Colonel Charles Ntakije et le Secrétaire d’Etat au    ministère de la Défense chargé de la Sécurité Intérieure était le Lieutenant-Colonel Lazare Gakoryo.
vii  C’était le 4 Octobre 1993. Dans son discours, il s’est félicité de la création d’un Comité Consultatif    Permanent sur les questions de Sécurité en Afrique Centrale.

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