Moins d’une année avant mon retour au pays natal, je ressens la même peur que celle que je ressentais en 2007 quand je m’apprêtais à venir en Russie.
On disait tout le mal de ce pays que j’ai failli ne pas accepter cette bourse que me proposait le gouvernement. Le seul élément stimulateur était l’opportunité qui se présentait de pouvoir sortir du pays, monter dans un avion et voyager dans les airs et pouvoir visiter d’autres peuples chez eux. С’est un luxe que ne peut se permettre n’importe quel burundais. C’était donc excitant de faire partie de cette poignée de Burundais qui ont déjà voyagé « dans le ventre d’un avion ». C’était une de ces occasions qui peuvent ne pas se présenter deux fois.
J’avais peur des skinheads, ces diables racistes, descendants idéologiques du Ku Klux Klan et d’Hitler, qui sont prêts a écraser la tète de tout étranger, et surtout de tout Noir, a chaque coin de la rue ou ils le rencontrent. Et j’en ai toujours peur puisque ces diables existent et qu’ils ne cessent de faire des victimes.
J’avais peur de la vodka. On me disait que la vodka rendait fou et que qu'aucun Burundais qui y avait goûté n’avait retourné au pays en bonne santé mentale. D’ailleurs, pour ne plus entendre des remarques de mauvais gout sur cette boisson de la part des gens qui n’en avaient jamais vu la couleur, j’ai fait croire a tout mon entourage que j’avais arrêté de boire et que jamais je ne prendrais plus une goute de boisson alcoolisée. Mais je savais au fond de moi que tout Burundais qui se respecte ne peut s’empêcher de prendre un verre quand l’occasion se présente et surtout quand il se détend avec des amis. Ce n’est pas moi qui ai dit que « Ubunyegeri buyagira kwigufa ».
Bien sur que la vodka est dangereuse si on ne la prend pas avec modération, comme toute liqueur. Pour info, je peux en ingurgiter quelques gorgées un certain nombre de fois par an, surtout pour fêter le nouvel an. Pas de quoi me rendre fou, ne vous inquiétez pas pour moi. Mais on ne boit pas que la vodka en Russie. Il y a des boissons qui ne sont pas plus dosées que le primus ou l’amstel de la brarudi et qui peuvent aider à se rafraichir après une dure journée ou à détendre un week-end entre amis.
Maintenant j’ai peur des vampires qui mangent l’âme des compatriotes et qui exposent leurs corps dans les rivières. On a trouvé un nom à ce terrible phénomène : assassinats extrajudiciaires. Comme si il y a avait des assassinats judiciaires. On le sait tous, la peine de mort est abolie au Burundi. Le problème est qu’on ne porte pas dans l’âme les traités de droit international que nos pays ne cessent de signer. Les assassinats extrajudiciaires sont le moyen que notre système a trouvé de contourner les règles qui abolissent la peine de mort et de se débarrasser des éléments qu’il juge indésirables. Les victimes de ces assassinats sont des dissidents qui n’approuvent pas l’idéologie ou les pratiques du parti ou des partis dominants.
Je les appelle des dissidents puisque, si le CNDD-FDD et ses alliés ne sont pas (encore) des partis totalitaires, ce sont partis à tendance totalitariste qui sont prêts à tout pour tout contrôler. De leur point de vue, les dissidents sont une menace leur projet et tous les moyens sont bons pour les empêcher de nuire. Ces pourquoi les corps sans vie qu’on coupe la tête ou les testicules et qu’on jette dans le Tanganyika n’éveillent aucune indignation de la part des officiels de Bujumbura, sans parler des pseudo enquêtes qui ne donnent aucun résultat. On ne peut pas affirmer que des gens du gouvernement ou du parti CNDD-FDD au pouvoir soient impliqués dans ces assassinats puisqu’aucune enquête indépendante n’a jamais été menée, mais ce qui se voit c’est qu’ils laissent faire, et ca c’est grave puisque le pouvoir est là avant tout pour protéger tous ses citoyens, qui qu’ils soient.
J’ai peur puisque moi-même je suis un dissident. Je suis un dissident puisque j’estime qu’aucun parti, aussi puissant soit-il, qu’il soit élu par le peuple a 60% ou 80%, ne peut prétendre détenir a lui seul la vérité et le droit d’exister. La légitimité populaire ne donne pas le droit d’ignorer ou de contourner la loi et les règles élémentaires de convivialité, et le peuple comme collectivité ne donne pas le droit de couper la tète ou les testicules des individus aussi gênants soient-ils.
Dans notre culture, couper les organes génitaux d’un individu est la pure des humiliations. On humilie les ennemis, jusqu'à leur enlever leur virilité posthume, comme si leur enlever la vie ne suffisait pas. Mwezi Gisabo ou Ntare Rugamba ont sans doute eu à couper les testicules de nombreux ennemis pour agrandir ou protéger la souveraineté du petit Burundi. Mais ces pratiques sont d’un autre âge et, au 21eme siècle, elles relèvent de la barbarie. Il y a la loi pour punir les fugitifs, laquelle loi a du mal à s’imposer pour assurer l’ordre dans notre pays et protéger les citoyens. L’amalgame dans cette histoire est qu’on assimile les adversaires politiques aux ennemis à anéantir moralement et physiquement. Cette manière de faire la politique est obsolète. Dans les conditions normales de température et de pression, les adversaires politiques sont avant tout des concurrents qui aiment tous leurs pays et qui luttent pacifiquement pour leur vision du monde soit prise en compte dans l’organisation de leur cité, de leur société, de leur pays, de leur région.
Quand nous humilions nos compatriotes en les prenant pour des ennemis, nous humilions notre pays devant les autres nations. Nous donnons l’image d’un peuple sauvage qui ne cesse de s’autodétruire.
J’ai peur parce que si on coupe aujourd’hui la tête d’un dissident de Bujumbura ou de Bubanza, demain ca sera peut-être mon tour.
Lisez le Rapport de HRW Mai 2012
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