Human Rights Watch
C.R.@2011
Le Burundi a tenu des élections locales et
nationales entre mai et septembre 2010. À la suite des élections
communales du 24 mai, la commission électorale a annoncé une majorité
écrasante pour le parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense
de la démocratie-Forces pour la Défense de la Démocratie (CNDD-FDD). Les
partis d'opposition ont crié à la fraude et ont boycotté les élections
qui ont suivi. Les représentants du gouvernement ont interdit les
réunions de l'opposition et torturé des opposants politiques. Des
partisans du CNDD-FDD ainsi que des partis d'opposition ont commis des
actes de violence politique. Les observateurs internationaux, soulagés
que le Burundi n'ait pas sombré dans une violence de masse, ont qualifié
les élections de « calmes ».
Le gouvernement a facilité la prise de contrôle illégale du principal
parti d'opposition, les Forces nationales de libération (FNL), par une
aile dissidente favorable au parti au pouvoir. Certains membres du FNL
et d'autres partis d'opposition se sont repliés dans la brousse et ont
pris les armes. La police a appréhendé et tué plusieurs membres du FNL
qui tentaient de rejoindre les groupes armés.
Le gouvernement a réprimé les journalistes, les organisations de la
société civile et les organisations internationales qui ont dénoncé des
abus.
Les élections et l'effondrement des avancées démocratiques
La campagne électorale menée par le CNDD-FDD a utilisé des fonds
d'État et recouru en partie à la corruption ainsi qu'à l'intimidation.
La police a interrompu des réunions de certains partis d'opposition et
arrêté des militants.
Les élections communales de mai ont donné 64 % des votes au CNDD-FDD.
Les partis d'opposition ont allégué une fraude massive et ont formé une
coalition, ADC-Ikibiri, qui a appelé à un boycott des élections
suivantes. Bien que les partis d'opposition n'aient pas présenté de
preuves concrètes d'une fraude massive, le fait que la Commission
nationale électorale (CENI) n'ait pas publié les procès-verbaux du
décompte des voix dans chaque bureau de vote - en violation de la loi
électorale, fait peser des soupçons sur l'intégrité du processus.
Les six candidats de l'opposition se sont retirés de l'élection
présidentielle de juin, laissant le président sortant, Pierre
Nkurunziza, le seul candidat en lice. Un parti d'opposition, l'UPRONA, a
participé aux élections législatives de juillet. Le CNDD-FDD a pourtant
remporté plus de 80 % des sièges au parlement.
La violence politique et le retour au conflit armé
Avant et pendant les élections, les principaux partis ont utilisé des
tactiques d'intimidation, y compris la violence. Parmi ces partis
figurent le FNL et, dans une moindre mesure, le Front pour la démocratie
au Burundi (FRODEBU), le Mouvement pour la Solidarité et la Démocratie
(MSD), l'Union pour la Paix et le Développement (UPD), et l'Union pour
le Progrès national (UPRONA). Cependant, la majorité des incidents ont
été attribués au CNDD-FDD. Des groupes de jeunes partisans, notamment
les Imbonerakure du CNDD-FDD, ont joué un rôle significatif dans ces
violences. Les Imbonerakure ont également été impliqués dans les
arrestations illégales, avant, pendant et après les élections.
Il y a eu au moins cinq assassinats politiques dans les deux semaines
qui ont précédé les élections communales. Pendant les élections
présidentielle et législatives, on a compté jusqu'à 128 attaques à la
grenade à travers le pays. Ces attaques visaient pour la plupart des
militants politiques, quel que soit leur obédience ; elles ont fait 11
morts et au moins 69 blessés. Au moins 33 lieux de réunion du CNDD-FDD
ont été incendiés au cours de cette période.
Tout au long des mois de juillet et d'août, des membres des FNL ont
fui leur maison pour éviter d'être arrêtés. Beaucoup d'entre eux sont
revenus dans les forêts où ils avaient combattu pendant la guerre civile
du Burundi, une guerre qui avait duré 16 ans. Le leader du FNL, Agathon
Rwasa, est entré dans la clandestinité, comme aussi le porte-parole de
l'ADC-Ikibiri, Leonard Nyangoma. Un nouveau mouvement armé s'est
constitué. En septembre, sept ouvriers d'un membre éminent du CNDD-FDD
ont été tués ; des témoignages suggèrent que les meurtriers étaient des
membres du FNL de la forêt de Rukoko. Au moins 18 corps, souvent
mutilés, ont été retrouvés flottant dans la rivière Rusizi ; certains
ont été identifiés comme membres des FNL. La mission des Nations Unies
au Burundi (BINUB) et une organisation burundaise de défense des droits
humains ont présenté aux autorités des éléments de preuve attestant que
la police avait accompli certains de ces meurtres.
La répression de l'opposition politique et la résurgence de la torture
Plus de 250 membres de l'opposition ont été arrêtés en juin et en juillet. On relève parmi les chefs d'accusation l'« incitation de la population à ne pas voter », ce qui n'est pas un crime au Burundi. D'autres ont été accusés de crimes graves, par exemple avoir lancé des grenades.
Au moins 12 militants de l'opposition ont été torturés ou maltraités
en juin et juillet par le service national de renseignement (SNR). Des
dizaines d'autres ont été maltraités par la police. Des agents du SNR
ont coupé un morceau de l'oreille d'un membre de l'UPD et l'ont forcé à
le manger. D'autres militants ont reçu des coups de pieds dans les
organes génitaux ou ont été emprisonnés dans les toilettes.
Trois dirigeants de l'opposition ont été illégalement empêchés de
quitter le pays en juin. Le 8 juin, le ministre de l'Intérieur, Edouard
Nduwimana, a interdit toutes les activités de l'opposition. Il a annulé
cette interdiction générale à la fin de juillet, mais certaines
activités de l'opposition ont été interdites par la police, notamment
une conférence de presse de l'ADC-Ikibiri, le 17 septembre.
Le 4 août, le ministre de l'Intérieur Nduwimana a reconnu les résultats du vote d'un « congrès extraordinaire »,
organisé par d'anciens membres des FNL avec le soutien du parti au
pouvoir. Ce vote destituait le président du FNL, Agathon Rwasa, et le
remplaçait par des dirigeants plus conciliants. Ainsi, après des années
d'efforts par des responsables gouvernementaux et de la communauté
internationale pour intégrer Rwasa et le FNL au processus politique, le
congrès du FNL a enfreint ses statuts et privé de voix politique son
président et ses partisans.
Le 27 septembre, le porte-parole du MSD, François Nyamoya, a été
arrêté pour diffamation après avoir déclaré dans une interview à la
radio que le Président Nkurunziza devrait renvoyer le chef du SNR,
Adolphe Nshimirimana, et le directeur adjoint de la police, Gervais
Ndirakobuca, en raison des exactions commises par les deux services. Il a
été libéré provisoirement le 14 octobre. En plus de son activité
politique, François Nyamoya est un éminent avocat qui a défendu des
détracteurs du gouvernement devant les tribunaux. Un de ses clients,
Jackson Ndikuriyo, un ancien brigadier de police, avait été tué, le 26
août, après avoir déposé plainte pour licenciement abusif. Des
organisations burundaises de droits humains avaient dénoncé ce meurtre
comme étant une exécution sommaire par la police. Ndikuriyo avait été
licencié pour avoir dénoncé la corruption de la police et avait dit à
son avocat avant sa mort qu'il avait été menacé par le directeur adjoint
de la police, Ndirakobuca.
Défenseurs des droits humains et journalistes
L'année 2010 est en recul pour les droits des défenseurs des droits
humains et pour les droits des journalistes avec un niveau de répression
jamais atteint depuis 2006.
Le 18 mai, le ministre des Affaires étrangères, Augustin Nsanze, a
révoqué le permis de travail de la chercheuse d'Human Rights Watch au
Burundi, au motif que le rapport du mois de mai de l'organisation sur
les violences politiques au Burundi était « tendancieux » et que cette chercheuse avait manifesté « des attitudes de nature à porter préjudice aux institutions gouvernementales
». À ce jour, le gouvernement n'a démenti aucune information précise
figurant dans le rapport. Au mois de novembre, le ministre n'avait
toujours pas répondu aux nombreuses demandes de dialogue de Human Rights
Watch.
Quatre journalistes ont été arrêtés en 2010. Jean Claude Kavumbagu,
directeur du site web Net Press, a été arrêté en juillet et inculpé de
trahison, en vertu d'une loi qui n'est applicable qu'« en temps de guerre
», après avoir mis en doute la capacité de l'armée à répondre à une
attaque des miliciens Shebbab. Les procureurs ont insinué que les
menaces des Shebbab contre le Burundi répondaient bien à la définition
d'un « état de guerre ». En octobre, Kavumbagu avait été détenu
illégalement en détention provisoire pendant trois mois. Thierry
Ndayishimiye, rédacteur-en-chef du journal Arc-en-Ciel, a été arrêté en
août pour avoir dénoncé la corruption au sein de la compagnie nationale
d'énergie. Il a été libéré provisoirement. Deux journalistes du journal
indépendant Iwacu ont été détenus pendant deux jours en novembre, sans
aucune explication et sans qu'une inculpation leur ait été notifiée.
Le 29 juillet, Gabriel Rufyiri, président de l'organisation
anti-corruption OLUCOME, a été interrogé par un magistrat suite à une
plainte pour diffamation. Le procureur de la République en mairie de
Bujumbura, Renovat Tabu, a ordonné l'arrestation de Rufyiri. Le
magistrat a refusé, faute de preuves, et a été muté le lendemain à un
poste dans une juridiction du Burundi rural.
Eric Manirakiza et Bob Rugurika, respectivement directeur et
rédacteur-en-chef de la station de radio privée RPA, ont reçu des
menaces de mort. Pacifique Nininahazwe, délégué général du Forum pour le
renforcement de la société civile (FORSC), a été filé par des véhicules
du SNR.
Des auditions ont eut lieu pour entendre des suspects dans l'affaire
du meurtre, en avril 2009, d'Ernest Manirumva, vice-président d'OLUCOME.
Des organisations de la société civile redoutent que les procureurs
n'interrogent ni n'arrêtent plusieurs responsables de haut rang de la
police et du SNR qui ont été cités par des témoins. Ces organisations
ont également présenté des éléments de preuves qui suggèrent que
certains témoins auraient disparu ou auraient été tués. Le parquet a
perdu la confiance des témoins après avoir communiqué des renseignements
au SNR concernant certains d'entre eux.
Justice transitionnelle et justice pénale
Un comité représentant le gouvernement, l'ONU et la société civile, a achevé un tour de « consultations nationales » pour créer une Commission vérité et réconciliation et un tribunal spécial pour juger les crimes de guerre passés. Le comité a présenté un rapport au Président Nkurunziza en avril, mais en novembre il n'avait pas toujours pas été rendu public, ce qui ralentit la mise en place des mécanismes proposés.
L'administration de la justice du Burundi avait en 2010 accumulé
d'importants retards dans le traitement des dossiers. 65% des détenus
sont en détention préventive. La décision d'un tribunal du mois de
septembre confirmant la détention préventive du journaliste Kavumbagu a
été rendue au motif que la détention préventive est toujours le meilleur
moyen de maintenir un suspect « à la disposition de la justice », ce
qui est une violation des principes internationaux des droits humains.
Acteurs internationaux clés
Les diplomates internationaux à Bujumbura ont suivi de près les
procédures dans les affaires touchant les défenseurs des droits humains
et les journalistes. Beaucoup ont assisté personnellement aux audiences.
Le ministre belge des Affaires étrangères a condamné les arrestations
de Kavumbagu et de Nyamoya et a demandé des enquêtes sur les allégations
de torture d'opposants politiques. Les États-Unis, qui ont offert
l'assistance technique du FBI pour les enquêtes menées sur la mort de
Manirumva, ont exhorté le gouvernement à poursuivre les hauts
responsables soupçonnés d'être impliqués dans le meurtre.
De nombreux gouvernements étrangers ont omis de dénoncer les
restrictions sur les droits de l'opposition politique pendant la période
électorale. Ces gouvernements ont minimisé l'absence d'une règle de jeu
égale et ont exercé une forte pression sur l'opposition pour qu'elle
mette fin à son boycott, provoquant la forte déception de ces partis.
La mission de l'ONU au Burundi a systématiquement répertorié les cas
de torture, les arrestations arbitraires et les exécutions sommaires et a
instamment demandé au gouvernement de mettre fin à ces pratiques.
L'expert indépendant nommé par l'ONU sur la situation des droits
humains au Burundi n'a pas été en mesure de présenter un rapport sur la
situation dans ce pays depuis septembre 2008, ce qui s'écarte de la
pratique courante du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies. Le
Burundi a fait pression sur le Conseil pour reporter la présentation du
rapport de l'expert indépendant pendant la session de septembre 2010.
La pression du Rwanda sur le Burundi a entraîné le rapatriement
illégal de 103 demandeurs d'asile rwandais en novembre 2009. La Tanzanie
a pris l'initiative positive de naturaliser 162 000 burundais réfugiés
sur son territoire depuis 1972.
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