Mohammed Omar, un grand spécialiste de la Somalie, parle de la montée en puissance d'al-Shabab et de la menace que l'organisation fait peser non seulement sur la Somalie, mais sur toutes les régions d'Afrique, y compris le Maghreb
[Jamel Arfaoui] Mohammed Omar explique que le régime d'al-Shabab "n'est pas né avec le consentement du peuple et n'exprime pas les aspirations du peuple somalien".
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A la lumière du récent détournement du navire marchand tunisien Hannibal II, les habitants du Maghreb se disent de plus en plus préoccupés par le danger croissant que représente l'instabilité en Somalie. Pour éclairer la situation, Magharebia a rencontré le politologue somalien Mohammed Omar à Mogadiscio. Il a dévoilé la face cachée du groupe djihadiste radical al-Shabab et exposé les liens du mouvement avec les terroristes internationaux. Observateur attentif des évènements violents qui ont secoué la Somalie ces dernières années, Omar a une connaissance approfondie de l'histoire du pays et de son importance pour le reste de l'Afrique. Il a expliqué que ce groupe terroriste impose son idéologie radicale à la population par la force et ne dispose que de peu de soutiens au sein de la population. Omar a également apporté des éclaircissements sur la montée en puissance des groupes salafistes et sur les liens entre al-Shabab et al-Qaida au Maghreb Islamique.
Magharebia : Pouvez-vous nous indiquer les origines d'al-Shabab ?
Mohammed Omar : Il est difficile de dater un moment précis et de dire que le mouvement est apparu en tant que tel, dans la mesure où sa création a été progressive. En 1997, le groupe salafiste al-Ittihad al-Islami a déclaré qu'il renonçait à son approche armée pour devenir un groupe de dawa (prêche). Cette décision a provoqué la colère de certains des leaders de second plan qui y étaient opposés et insistaient sur l'approche armée.
Après le 11 septembre, la possibilité que la Somalie soit la cible d'une attaque américaine s'est renforcée ; cela a mobilisé ces jeunes leaders et cela les a poussés à instaurer le mouvement, qui a rapidement disposé de bases d'entraînement dans la capitale somalienne, contrôlée par des seigneurs de guerre bénéficiant du soutien d'entités régionales et internationales.
Magharebia : Quelle est la relation entre al-Shabab et al-Qaida au Maghreb islamique(AQMI) ?
Omar : Il existe certainement une coopération entre al-Qaida et al-Shabab, comme l'attestent les déclarations faites par les deux parties. Al-Shabab affirme faire partie d'al-Qaida et prône son affiliation à Oussama ben Laden, et al-Qaida publie des déclarations qui soutiennent al-Shabab et lui fournit quelques conseils, comme le font habituellement al-Zawahri et Abou Yahya al-Libi.
Avec le développement des activités d'entraînement, on estime que les liens de communication entre le groupe et l'organisation internationale al-Qaida ont commencé à se renforcer. Des éléments étrangers ont commencé à venir en grands nombres en Somalie. Dans le même temps, al-Shabab a été accusé de mener des assassinats de certaines personnalités laïques et de responsables de l'armée somalienne accusés d'espionnage. Cela a conduit ces seigneurs de guerre à déclarer la guerre au groupe sous le parapluie de la "guerre contre la terreur".
Magharebia : Al-Shabab est-il composé uniquement de Somaliens, ou l'organisation bénéficie-t-elle du soutien d'autres régions ?
Omar : Il est clair que ce groupe ne se compose pas que de seuls éléments somaliens ; il regroupe des étrangers venus de différents pays. Mais il est difficile d'estimer leur nombre ; certains affirment qu'ils sont plus de mille, d'autres réfutent ce chiffre, mais les estimations montrent que leur nombre est au moins de quelques centaines.
Magharebia : Comment sont-ils perçus par la rue somalienne ?
Omar : La rue somalienne a une vision des choses très différente de celle d'al-Shabab. La vision d'ensemble semble être négative, dans la mesure où ce groupe n'a pas vu le jour avec l'assentiment du peuple et n'exprime pas les aspirations du peuple somalien, qui souhaite ardemment la sécurité et la stabilité, la création d'un Etat fondé sur des institutions, et la mise en oeuvre de la réconciliation nationale comme base à un Etat effectif. Le deuxième facteur qui pousse les gens à avoir une vision négative de ce groupe tient à la présence d'étrangers qui participent à l'orientation de sa politique. Ce mouvement n'exprime pas les espoirs du peuple somalien. Un troisième facteur est l'adoption d'une approche sanglante sur le plan intérieur et d'une politique agressive envers les pays voisins.
Magharebia : Un certain nombre d'attaques terroristes ont été menées par al-Shabab dans des pays africains. De telles opérations signifient-elles que ce mouvement est passé de la scène locale somalienne à une vision plus internationale ?
Omar : Oui, plusieurs opérations ont été menées par al-Shabab dans plusieurs pays, notamment lesattentats à la bombe à Kampala lors desquels 70 personnes sont mortes, et dont al-Shabab a revendiqué la responsabilité. Actuellement, des consultations intensives ont lieu entre les pays voisins pour tenter de lutter contre la menace d'al-Shabab dans la région. L'Ouganda et le Burundi, qui ont des soldats en Somalie, appellent à envoyer des troupes dans le pays pour lutter contre al-Shabab dans le cadre de la guerre mondiale contre al-Qaida.
Magharebia : Existe-t-il un quelconque lien entre al-Shabab et les pirates, tels que ceux qui ont détourné le cargo tunisien Hannibal II ?
Omar : On estime généralement qu'al-Shabab ne s'occupe pas de piraterie, bien que le mouvement contrôle plusieurs ports dans le sud de la Somalie. Ils sont accusés de fermer les yeux sur les pirates qui opèrent dans leurs régions d'influence, peut-être parce qu'ils estiment que les pays occidentaux sont les plus affectés par ces opérations. Les forces internationales arrêtent des gangs de pirates tous les jours, mais aucune charge d'appartenance à al-Shabab n'est retenue contre eux ; cela tend à infirmer tout lien entre al-Shabab et ces pirates.
Omar : En ce qui concerne le financement, les observateurs étrangers n'arrivent pas à se prononcer. Nous pouvons simplement dire que l'énormité des opérations menées par al-Shabab et les vastes étendues de territoires qu'ils contrôlent requièrent un financement à grande échelle. Si le lien entre l'organisation-mère et al-Shabab se confirme, il doit alors exister une forme de financement.
Magharebia : Comment financent-ils leurs opérations ?
Magharebia : Comment voyez-vous l'avenir de ce groupe à court terme ?
Omar : La plupart des analystes estiment que les chances de survie d'al-Shabab pourraient s'évanouir du fait des facteurs que j'ai cités plus haut - un projet qui ne répond pas aux priorités du peuple somalien, la présence d'un calendrier étranger, le régime de la force sur les territoires qu'ils contrôlent, etc. Les analystes en tirent cette conclusion. Ils parlent aussi des forces qui bénéficieront de la disparition du mouvement.
Admin@2010
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