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29 avril 2017

Burundi : «Le pouvoir qui peut faire disparaître n’importe qui»

LIBERATION
Arrestations, chantage, disparitions. Face aux méthodes du pouvoir, les étudiants burundais n’ont d’autres choix que souplesse et discipline.

Le climat politique et social burundais est à la peur. Depuis sa réélection contestée en juillet 2015 pour un troisième mandat, le président Pierre Nkurunziza ne tolère plus la moindre contestation. Les arrestations arbitraires et disparitions d’opposants se sont multipliées. La répression a fait plus de 2 000 morts et plus de 400 000 Burundais et près de 2 000 militaires ont fui le pays selon un récent rapport de l’International Crisis Group. Depuis octobre 2016, l’ONU estime à 200 le nombre de disparitions.

Dans ce climat de tension généralisée, les étudiants burundais n’échappent pas à l’intransigeance des autorités. Après un mois de mobilisation, ils se résignent à «regagner les amphis, en espérant que les autorités arrêteront les sanctions et privilégieront la voix du dialogue», a indiqué mardi un de leurs représentants joint par Libération. Une décision qui met fin à un mois de grève contre le décret présidentiel réorganisant le système des bourses universitaires et des stages.
Une bourse changée en prêt

Jusqu’à présent les étudiants bénéficient sans condition d’une bourse d’études mensuelle de 30 000 francs burundais (moins de 17 euros). Le texte signé le 1er février 2017 par Pierre Nkurunziza prévoit de réformer cette aide publique en un prêt remboursable en fin d’études. «Cette nouvelle politique de prêt-bourse concrétise une volonté exprimée lors des Etats généraux de l’éducation en décembre 2014, explique Jean-Claude Karerwa Ndenzako, porte-parole du chef de l’Etat. Les étudiants vont désormais bénéficier d’un prêt qui évoluera en fonction du coût de la vie.»

Créée en 1964, l’université du Burundi compte actuellement plus de 14 000 étudiants pour une capacité d’accueil d’environ 4 000 places. Une explosion du nombre d’inscriptions qui rend nécessaire une réforme du système de financement et d’attribution des bourses. Le tout sur fond de profondes difficultés économiques.

Mais la hâte et le manque de communication du gouvernement n’ont fait que crisper les étudiants. Ces derniers estiment ne pas savoir quels seront les critères d’attribution de ces nouveaux prêts-bourses. Ni comment ils devront les rembourser si, une fois leur diplôme en poche, ils ne trouvent pas d’emploi. Aujourd’hui, une grande majorité des étudiants exigent le retrait du décret présidentiel et demandent à être associés aux négociations, craignant que leurs bourses ne finissent par être supprimées.


Une contestation diabolisée

Les étudiants de l’Ecole normale supérieure (ENS) avaient été les premiers à entrer en grève le 24 mars, avant d’être rejoint par ceux de l’université du Burundi (UB), puis par ceux de l’Institut national pour la santé publique. Dès le 28 mars, les premières arrestations ont commencé. «Le gouvernement préfère attaquer les étudiants plutôt que de choisir le dialogue» constate l’avocat burundais en exil et président de l’Action chrétienne pour l’abolition de la torture (Acat) au Burundi, Armel Niyongere.

«Tout gouvernement doit prendre ses responsabilités pour empêcher qu’une fraction d’étudiants, qui ne sont pas des citoyens honnêtes, en contaminent d’autres», se défend le porte-parole de la présidence. «Nous sommes dans un pays qui privilégie la bonne conduite, il y a une tradition et des mœurs qui doivent être observées, confie à Libération Jean-Claude Karerwa Ndenzako. Toute personne qui présente une entrave a l’ordre public peut être poursuivie.» Même si les étudiants ne sont associés à aucun mouvement politique d’opposition, le gouvernement les considère comme des «Sindumujas», terme qui désigne les opposants à l’actuel troisième mandat du président.


«Le régime essaye de casser le mouvement en le présentant sous l’angle politique. Les étudiants sont arrêtés sous prétexte de déstabiliser les institutions et d’atteindre à la sécurité de l’Etat» explique Vital Nshimirimana, président du Forum pour le renforcement de la société civile au Burundi (Forsc), exilé en Europe.
«Il y a une culture de la peur»

Le très redouté Service national de renseignement, le SNR, sous l’autorité directe du président, est chargé d’interpeller les étudiants jusque dans leur campus de Mutanga. Des arrestations aux airs d’enlèvements. «Quatre personnes m’ont embarqué et m’ont fait entrer dans une voiture aux vitres teintées. J’ai été directement conduit dans les locaux du SNR pour atteinte à la sécurité de l’Etat», raconte l’un d’eux, qui a depuis été libéré.

«Il y a des étudiants qui travaillent avec le SNR pour dénoncer et arrêter les délégués», confie un autre étudiant qui a échappé de justesse au service de renseignement venu l’arrêter dans sa chambre. Comme deux autres de ses camarades, traqués depuis des semaines, il vit aujourd’hui dans la clandestinité.

Une dizaine d’étudiants a été arrêtée et cinq sont incarcérés dans prison centrale de Mpimba en attente d’être jugé. Ils risquent cinq à dix ans de prison.

Côté police, on se refuse à tout commentaire. «L’affaire est entre les mains de la justice», botte en touche Pierre Nkurikiye, porte-parole de la police du Burundi. «Le SNR est au-dessus de toute institution, estime MeNiyongere. Il y a une culture de la peur face à un pouvoir qui peut faire disparaître n’importe qui», ajoute l’avocat. «Et ce n’est que maintenant, profitant de la crise, de la peur qui règne dans le pays que le gouvernement a choisi de faire passer en force ce décret sur les bourses», complète Vital Nshimirimana.


Les étudiants n’échappent donc pas à la politique de la peur. Tout est fait pour les intimider ou pour les diviser. Ainsi, les autorités offrent du riz et de l’argent aux non-grévistes. Et se montrent intransigeantes avec les autres. Dans une décision rectorale du 12 avril, huit étudiants parmi les délégués généraux ont été exclus de l’UB. Ils sont accusés par l’université d’avoir caché «le contenu et le destinataire» aux signataires de la lettre envoyée au président. Même sort pour cinq autres étudiants de l’ENS.

La Régie des œuvres universitaires, qui s’occupe de l’organisation des services sociaux à l’UB, a annoncé que les étudiants en grève ne toucheraient pas leur bourse d’avril et que tous ceux qui n’auraient pas repris «le chemin des amphithéâtres au plus tard le lundi 24 avril 2017 à 8 heures […] se seront exclus d’eux-mêmes de l’année académique» et leurs chambres universitaires seront réattribuées. Une énième menace. Les étudiants de l’ENS ont repris le chemin des cours dès ce lundi. Et les étudiants de l’UB, qui n’avaient hier pas répondu à l’appel du recteur, ont donc finalement décidé de regagner à leur tour les salles de classe. Les étudiants continuent de demander l’annulation du décret présidentiel et la libération de leurs camarades… Mais avec un minimum de discrétion.


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