Translate

27 octobre 2016

Burundi : "Quand on tue quelqu’un à Bujumbura, c’est comme si on le tuait ici à Paris " Rencontre avec Gaël Faye

Iwacu

Né à Bujumbura, Gaël Faye, chanteur, rappeur, poète, auteur-compositeur-interprète, reste attaché au Burundi, pays qu’il a quitté à 13 ans. La  Fédération nationale d’achats des cadres   (Fnac) vient de décerner à son premier roman « Petit pays » le prix 2016. Il partage avec Iwacu sa joie et sa compassion pour le Burundi.

Quel est votre sentiment aujourd’hui ?

J’ai de la reconnaissance vis-à-vis des 400 libraires et 400 adhérents qui ont voté pour mon roman parmi toute une panoplie de livres. Je suis très content parce que contrairement à d’autres années où ce prix était décerné entre maisons d’édition, pour cet automne, ils ont associé d’autres. C’est vraiment des lecteurs qui ont élu ce livre, un panel de gens différents. C’est un plaisir pour moi que cet évènement ait touché un large public.

Ce qui me rend encore plus heureux, c’est le sujet du livre : peu de gens sont au courant du Burundi. Grâce à sa présence dans les librairies FNAC, ce livre sera très bien distribué. En France, on va commencer à avoir à travers ce roman, un début d’idée de ce petit pays d’Afrique.

On vous sent très ému…

C’est une fierté pour moi parce que quand je suis arrivé en France à l’âge de 13 ans et qu’à l’école, je disais que je viens du Burundi, tout le monde disait c’est quoi, c’est une ville ? On n’a jamais entendu parler… C’est un petit combat que j’avais depuis cette époque.

Pouvez-vous en quelques mots nous raconter votre roman ?

Il parle d’un enfant qui s’appelle Gabriel dont le père est français et la mère rwandaise et qui vit dans une impasse dans le quartier de Kinanira à Bujumbura, capitale burundaise. On suit cet enfant sur deux années (1993-1995). Son monde va basculer. Au départ, il a une vie heureuse, un quotidien très banal d’enfant avec sa bande de copains, ses parents, il est heureux à Bujumbura, il vit dans un quartier résidentiel, tout va très bien.

La première chose, ce sont ses parents qui se séparent et, en toile de fond, apparaissent en 1993, les premières élections démocratiques au Burundi. Au début, il prend cela pour un jeu : il voit l’Uprona, le Frodebu, les couleurs, les signes qu’on fait, etc. Il a vraiment l’impression d’être dans un match de foot, il y a une euphorie, une liesse de joie populaire d’avoir la démocratie. Il entend tout cela et se dit que c’est la joie des gens qui enfin décident de leur destin.

Après, il y a la bascule avec le coup d’état, la violence qui s’immisce dans la vie au pays. Et comme sa mère est rwandaise, il voit aussi de loin la guerre au Rwanda qui se termine par le génocide. C’est la descente du petit pays aux enfers. Lui, il assiste à tout cela, il veut essayer de ne pas prendre partie et de rester un enfant.

Malheureusement, la guerre assigne toujours des identités à tout le monde. Une fois en France, il se découvre et pense appartenir à cette histoire avec la violence qui va avec.

Est-ce une histoire réelle ou de la fiction ?

C’est une fiction dans le récit, les situations dont je parle sont complètement inventées. Par contre, la partie autobiographique est à divers degrés : cet enfant a les mêmes origines que moi, ce qui me permet de donner au narrateur plusieurs points d’entrée, de ne pas faire que du Burundi, ce qui m’aurait pas permis de parler du Rwanda comme je le fais. Lui donner cette appartenance au Rwanda et à la France, cela me permettait également de l’inscrire dans l’exil, l’inscrire dans un retour, il y avait tout une histoire lui donnant en même temps un carrefour de mes propres identités, de lui faire passer par les mêmes interrogations qui moi-même m’avaient traversé.

En tant que narrateur, j’ai vécu presque les mêmes années au Burundi, donc, cette situation politique, je l’ai ressentie également. A la différence du narrateur qui lui, est lucide de ce qui se passe, moi, je ne l’étais pas à cette époque-là. J’ai compris à postériori, bien des années plus tard, ce qui s’était passé au Burundi.

Pourquoi ce retour dans l’histoire non récente du Burundi ?

Pour moi, ce n’est pas aussi lointain que ça. A la différence d’un journaliste qui travaille sur l’actualité, en tant qu’artiste, je dois prendre du recul pour traiter un sujet. J’ai besoin de me délivrer des passions. Il serait impossible aujourd’hui d’écrire sur ce qui passe actuellement au Burundi parce que l’histoire est en marche. Quand on prend une certaine distance avec l’histoire, ça permet de laisser la place à l’imaginaire.

On dit souvent que les 1ers romans ont souvent une part autobiographique.N’est-ce pas le cas ?

Les gens écrivent soit pour se délivrer d’un poids ou de quelque chose, de la thérapie ou une catharsis. Moi, ce n’était pas le cas car je m’étais déjà délivré de cette histoire en quelque sorte avec ‘Pili pili’sur un croissant au beurre’. Ça peut être une première possibilité d’écrire sur une histoire qui m’avait traversé, que j’avais ressentie.

Quel est le message voulez-vous transmettre à travers votre premier roman ?

Parfois, les sociétés voudraient mettre la violence à distance en se disant que la violence des autres n’est pas la nôtre, ce qui se passe ailleurs ne nous concerne pas. C’est un peu ce que le narrateur essaie de faire, il se dit hutu ou tutsi, ce n’est pas mon problème, moi je suis métis. Il s’enferme d’abord dans son impasse et ensuite quand la guerre s’y infiltre à travers la conversation des enfants, il finit par s’enfermer dans la lecture en se disant que ça va être une porte de sortie. Pourtant, même à l’intérieur de ces livres, la guerre finit par le débusquer.

J’ai voulu inventer cette impasse métaphoriquement parce que quand il y a eu des attentats en France, au début de 2015, c’est à ce moment que j’écrivais ce roman, j’ai eu l’impression que les Français découvraient la violence. On assassine des journalistes avec des kalachnikovs et d’un coup, les Français sont traumatisés. C’est normal mais
c’est comme si la violence faisait irruption d’un coup, qu’elle n’existait pas. Or, elle a toujours été là. Jusqu’à présent, la France a porté la violence ailleurs comme si elle n’a jamais existé sur son territoire. C’est cela qui me questionnait, comment transmettre comme disait Césaire, un homme qui crie quelque part, c’est moi qui crie. Tous les êtres humains sont liés, quand on tue quelqu’un à Bujumbura, c’est comme si on le tuait ici à Paris et inversement.

Votre roman vient sortir en pleine crise politico-sécuritaire au pays. Que va-t-il apporter ?

Il peut donner un point d’entrée pour des gens qui ne connaissent pas la situation au Burundi.


Je suis sûre que la plupart de mes lecteurs s’ils entendent dans les informations quelque chose sur le Burundi, ça va pas les intéresser alors qu’avec une œuvre artistique, c’est comme s’il y a quelque chose d’émotionnel, de personnel, etc. C’est une autre manière d’atteindre quelqu’un par un autre biais, le toucher plus profondément. Là, on fait connaissance avec des personnages, avec des psychologies.

Aucun commentaire: