Mediapart
Fin novembre, Abdou Diouf connaitra le nom de son successeur à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Cinq profils sont à l’étude, l’un d’eux surnage : celui de l’ex-président burundais Pierre Buyoya. Buyoya réussit l’exploit d’être à la fois le prétendant au secrétariat général de l’OIF le plus solide, mais aussi l’un des plus controversés. Solide par son envergure, critiqué pour son passé agité. Pourtant, s’il est indéniable que Buyoya a dû par deux fois montrer sa poigne dans les années 80 et 90, le procès que lui dressent ses détracteurs apparaît abusif.
Champ libre pour Buyoya ?
Pierre Buyoya |
L’Organisation internationale de la Francophonie se cherche un nouveau chef. Dans les starting-blocks, cinq candidats, qui ont le mérite de former un tout hétéroclite. C’est d’ailleurs là, peut-on penser, la seule raison de la présence dans ce top 5 final d’au moins deux, si ce n’est trois d’entre eux, tant leurs chances paraissent faibles.
Manque de notoriété, provenance géographique éloignée du cœur palpitant de la Francophonie (l’Afrique), âge trop avancé ou encore pays d’origine où le français est minoritaire, le Mauricien Jean-Claude l’Estrac, l’écrivain congolais Henri Lopes (78 ans) et l’Equato-guinéen Agustin Nze Fumu font figure d’outsiders, même si une surprise n’est pas à exclure.
Reste la Canadienne d’origine haïtienne Michaëlle Jean. Elle aussi se trouve loin de l'Afrique, mais le pedigree de cette ancienne gouverneure générale impressionne, puisqu’elle a notamment été représentante de la reine d’Angleterre de 2005 à 2010. Seul hic, et de taille, le Canada est principalement anglophone, et Michaëlle Jean n’a jamais, avant l’annonce de sa candidature il y a quelques mois, brillé par son zèle à défendre le français. Et pour cause, la reine d'Angleterre, qu'elle représentait, est à la tête du Commonwealth, plus gros concurrent de l'OIF.
Ex-premier ministre du Québec, Bernard Landry affirme ainsi : «Lorsqu'elle était gouverneure générale du Canada, je ne l'ai jamais vue engager quelque bataille que ce soit pour défendre la langue française ou la faire rayonner, alors qu'au Canada, malheureusement, en dehors du Québec, les minorités francophones sont en régression rapide. ». Surtout, Jean a pour inconvénient principal de ne pas être Africaine, alors que le continent compte 30 des 57 membres de l’OIF, et que la majorité des postes importants de l’organisation sont déjà occupés par des personnes originaires de l’hémisphère nord. Un secrétaire général africain semble de mise.
Si Pierre Buyoya apparaît grand favori, ce n’est pourtant pas que par défaut. Président du Burundi à deux reprises, l’homme quitte le pouvoir en 2003. Il est alors fréquemment sollicité par l’OIF dans le cadre de missions d’observation d’élections dans des pays membres. Bref, voilà plus de 10 ans que Buyoya est dans le sérail, et l’on comprend pourquoi sa candidature est plébiscitée par certains. Plébiscitée par certains mais aussi décriée par d’autres, en raison du passé militaire du Burundais, pas toujours un long fleuve tranquille.
Un passé tumultueux mais nécessaire
Président du Burundi deux fois, Pierre Buyoya n’a jamais accédé à cette fonction par la voie électorale. Nous sommes en 1987 quand il organise son premier coup d’Etat, dirigé contre Jean-Baptiste Bagaza, président tyrannique vis à vis de la communauté hutue (il est Tutsi), pourtant largement majoritaire dans le pays. Si Buyoya a dû faire usage de la force pour s’imposer à la tête de l’Etat, il ne se trouve pas grand monde pour le lui reprocher, ni pour regretter son prédécesseur.
Et pour cause. Pierre Buyoya se démène pour mener son pays sur la voie de la démocratie. Au menu, une nouvelle mouture de la Constitution qui prévoit la mise en place d’un gouvernement non ethnique, l’organisation d’élections libres et multipartistes, la pacification des relations entre Tutsis et Hutus. En 1993, lorsque son parti perd les élections, c’est naturellement qu’il quitte le pouvoir.
Trois ans plus tard, rebelote, Pierre Buyoya accède de nouveau à la plus haute marche de l’Etat à la faveur d’un putsch. Décidément, peut-on présumer, voilà un homme qui non seulement a le goût du pouvoir, mais chez qui, en plus, cette disposition d’esprit semble doublée de la manie plutôt fâcheuse de le conquérir l’arme à la main. Ne serait-on pas ici en présence d’un dictateur tout ce qu’il y a de plus banal, comme l’Afrique en compte tant,trop ? Il semblerait que non.
En 1996, lorsqu’il accède une nouvelle fois à la présidence, le pays est au bord de l’implosion, dans un contexte marqué par la montée des tensions entre Hutus et Tutsis. Deux présidents hutus viennent d’être assassinés coup sur coup, la situation menace de dégénérer comme au Rwanda, mais dans une logique inversée : les Tutsis risquent de s’en prendre aux Hutus à grande échelle. Ça a d’ailleurs déjà commencé, plusieurs dizaines milliers de victimes sont dénombrées, la guerre civile n’est plus une abstraction, elle est là.
Pour apaiser les tensions, pas d’autre choix que de remettre un Tutsi au pouvoir. On connaît la suite. Buyoya se « dévouera », par la force certes mais la façon dont il prend les rênes du pays importe moins que celle dont il en usera. Il nomme un Premier ministre ainsi que d’autres ministres hutus. Sa communauté lui en tient rigueur mais peu importe, le calme revient, les réformes vont pouvoir reprendre. Buyoya restaure le multipartisme, en 2002 de nouvelles élections sont organisées, il rend le pouvoir.
Dans une interview accordée à Jeune Afrique, Buyoya se « considère comme un réformateur ». De fait, on peut le voir ainsi. L’homme porte pour la francophonie une quinzaine de propositions novatrices. Mais la meilleure preuve de ce caractère réformateur reste la façon dont il a exercé le pouvoir au Burundi. S’il s’en est emparé par deux fois par la force, il l’a rendu autant de fois… par le suffrage universel. Preuve de son action positive durant ces deux mandats.
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