Le journal international
La liberté de la presse se réduit davantage au Burundi. Le président Pierre Nkurunziza a promulgué, mardi 4 juin, une loi sur les médias qui risque de faire jaser. Désormais, la protection des sources va être limitée et il est interdit de diffuser des informations sensibles sur le pays.
C’est une journée noire pour la liberté de l’information au Burundi. Le pays vient de faire un bond de plus de vingt ans en arrière », a déclaré, mardi 4 juin, Reporters sans frontières. La raison ?
Le président de la République du Burundi, Pierre Nkurunziza, a promulgué une loi qui va limiter grandement la liberté de la presse dans son pays. Déjà adopté en avril par le Parlement, ce projet de loi vise à museler la capacité d’investigation des journalistes, notamment celle des opposants au gouvernement. Avec 80 % des sièges de la chambre basse, le parti présidentiel, Conseil national pour la défense de la démocratie — Forces de défense de la démocratie (le CNDD-FDD) n’a eu aucune difficulté à faire passer ce projet malgré les nombreuses réclamations des syndicats de la presse.
DE NOUVELLES RESTRICTIONS ÉDITORIALES
Depuis 2010 et l’élection du nouveau président, les médias burundais vivent dans un climat difficile et cela ne devrait pas s’arranger dans les mois à venir. La protection des sources est désormais imitée, particulièrement lorsque le sujet concerne « la sécurité de l’État, l’ordre public ou le secret de la Défense ». Éviter les sujets d’État devient la norme. Soit un pas de plus pour la censure dans un pays qui se dit démocratique.
En cas de non-respect de ces nouvelles mesures, les amendes s’élèvent entre 50 000 FBU (25 euros) et 8 millions de FBU (4000 euros). Autant dire, un montant supérieur au salaire annuel des journalistes burundais, dans un pays où le salaire annuel moyen s’élève à 190 euros.
Face aux critiques, Pierre Nkurunziza a défendu la loi en déclarant sur la chaîne BBC Afrique : « C’est une loi moyenne par rapport aux autres dans le monde. Elle est façonnée à la taille du Burundi ». Exercer le métier de journaliste risque aussi de devenir plus difficile pour les Burundais, il faudra en effet justifier d’un niveau licence au minimum. Les années d’expérience ne comptent pas.
Par ailleurs, le Conseil national de la communication (CNC) peut dorénavant accorder ou retirer la carte presse. Or ce conseil est nommé par l’exécutif ce qui interroge sur son impartialité.
À deux ans des prochaines élections présidentielles, cette loi pourrait avoir des conséquences désastreuses sur la transparence et le pluralisme des médias. Pour Gélase Ndabirabe, l’ex-secrétaire général du CNDD-FDD, cette loi sert surtout à recadrer les journalistes qui « ont laissé tomber depuis 2010 leur métier pour celui de politiciens ».
Cette nouvelle mesure n’a pas laissé insensible la communauté internationale. La Belgique, toujours proche de son ancienne colonie, a vivement réagi face à cette loi qualifiée de « liberticide » par le syndicat des journalistes burundais. Le ministre belge des Affaires étrangères, Didier Reynders, a déploré cette situation qui « pose de très sérieuses restrictions à l’exercice du métier de journaliste au Burundi et n’apparaît pas en conformité avec les engagements que ce pays a pris en tant que signataire du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ». Avant cela, une pétition appelant le chef de l’État à ne pas promulguer la loi avait recueilli plus de 15 000 signatures, selon l’Union burundaise des journalistes (UBJ). En vain. La déception prédomine aussi aux Nations Unies. Dans un communiqué, le secrétaire général, Ban Ki-moon, exhorte le gouvernement du Burundi à mettre sa législation en accord avec la tradition démocratique du pays et les normes internationales des droits de l’homme. « M. Ban souligne que le droit à la liberté d’expression et le pluralisme des médias sont des éléments essentiels dans une démocratie digne de ce nom ». Pour rappel, en octobre dernier, le Burundi avait obtenu, lors d’une conférence de donateurs à l’ONU, plus de 1,5 milliard d’euros d’engagements pour financer son développement sur les quatre prochaines années. En échange, ses responsables doivent donner des assurances en matière de démocratie, et notamment sur la liberté d’expression.
« Au Burundi, les journalistes et responsables de médias privés qui s’efforcent de s’exprimer librement et d’enquêter sur des sujets sensibles sont soumis à une terrible campagne d’intimidation, symbolisée par des convocations à répétition. Lutter contre le découragement est devenu leur défi », a dénoncé Reporters sans frontières. Depuis quelques mois déjà, le gouvernement burundais mène une politique de répression contre certains journalistes. Ainsi, Jean-Claude Kavumbagu, directeur du journal en ligne Net Press, a passé dix mois en détention préventive pour avoir remis en question la capacité de l’armée face à la menace terroriste islamiste d’Al-Shabaab. Il avait d’abord été accusé de trahison et la justice avait requis la perpétuité. En grande instance, le tribunal de Bujumbura a ordonné, finalement, sa libération en requalifiant son délit en délit de presse.
Plus récemment, le cas de Hassan Ruvakuki agite l’opinion. En juin 2012, il a été condamné à la prison à vie pour participation à une activité terroriste. En appel, sa peine a été réduite à trois ans, avant d’être libéré en mars dernier pour des raisons de santé. Il était accusé d’être impliqué dans une attaque lancée depuis la Tanzanie et visant l’est du pays. Le journaliste se contentait de suivre les activités de cette rébellion dans le cadre de son métier.
Outre les journalistes, la censure sur Internet est aussi de mise. La CNC a décidé de suspendre 30 jours le site d’information, Iwacu, suite à certains commentaires, jugés inappropriés, parus sur le forum. « Cette décision est un précédent. Jusqu’à présent, le CNC n’avait jamais pris de sanction contre un site Internet, encore moins contre un forum en ligne. N’est-il pas plus approprié de débattre des commentaires censés poser problème plutôt que de suspendre l’ensemble d’un forum ? Nous craignons que surgisse avec cette décision une nouvelle forme de contrôle sur les médias et l’expression libre des opinions », a une nouvelle fois commenté RSF.
De nombreux journalistes ont annoncé vouloir contester la loi devant la Cour constitutionnelle, puis si nécessaire, de saisir la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, voire le Conseil des droits de l’homme de l’ONU.
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