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2 mai 2013

Burundi:Avril 1972, un contexte politique propice à la répression

Journal Iwacu
Un président faible, entouré par des ultras régionalistes tutsi.Un massacre contre les Tutsi.Marc Manirakiza explique le contexte de l’emballement de la machinerépressive. 
Par Antoine Kaburahe

Marc Manirakiza
Les événements de 1972 débutent dans un climat un peu délétère, une ambiance de complots. Février 1972, plusieurs personnalités tutsi originaires de Muramvya avaient été condamnés à mort, puis graciésin extremis.

Le montage était grossier, un jeune procureur, Léonard Nduwayo, entrera dans l’histoire en refusant de condamner les innocents. Quand les massacres commencent à Rumonge, Marc Manirakiza, un des « comploteurs » était détenu dans la prison de Rutana. Le président Micombero avait commué la condamnation à mort en réclusion criminelle.
Suite au procès des gens de Muramvya, les rapports entre les Tutsi étaient exécrables. Ntare V avait été arrêté. Le régionalisme à son paroxysme. Sur climat politique pourri, Marc Manirakiza analyse : « Oui, le climat politique était mauvais, on sentait qu’il y avait quelque chose en l’air, une crise diffuse, des rumeurs persistantes d’attaque. Micombero a limogé son gouvernement. Est-ce qu’il avait soupçonné des membres de son gouvernement ? Voulait-il un nouveau gouvernement avec des hommes de confiance ? Micombero aurait était très bien informé, il aurait laissé faire pour frapper ensuite. On ne saura jamais. Mais toujours est-il que le soir même des attaques ont eu lieu. »

Le gouvernement limogé, le pouvoir va se retrouver dans les mains d’un petit cercle. Marc Manirakiza est très critique envers l’entourage de Micombero : « Il y avait des hommes très régionalistes autour du président, les Simbananiye, Rwuri, Shibura, Minani,etc. »

Quid des Hutu ? 
Pour l’ancien ministre Manirakiza, « les Hutu assistaient de loin à ce déchirement entre les Tutsi. Mais il faut dire aussi que les Hutu étaient frustrés par les condamnations à mort de quelques officiers hutu, accusés de complot contre l’Etat. Ils disaient que nous ( les comploteurs de Muramvya) nous avions eu au moins la chance de voir notre exécution commuée en réclusion à vie, bref, une sorte de deux poids deux mésure »

Au soir du 29 avril il souffle sur le Burundi un très mauvais climat politique. Mais sur le plan sécuritaire, le calme règne. A Rumonge les massacres commencent (lire pages…), mais la situation est vite maîtrisée. C’est alors qu’une terrible répression s’abat non pas sur les zones du sud mais sur tout le pays. Jusque dans les prisons. Marc Manirakiza se souvient. « Nous sommes donc en prison, nous ne savons pas vraiment ce qui se passe à l’extérieur. Pourtant, des gens sont venus dans la prison de Rutana ramasser tous nos compagnons d’infortune hutu. Ils ont été tués. Ils n’avaient rien fait. Ne savaient rien. »

C’était une répression aveugle : « Tout hutu instruit y passait », témoigne encore Marc Manirakiza.
L’homme a été très marqué par ce qu’il a vu. Les purges ont affecté tout le pays. Le Burundi sera marqué, à vie : « Je crois que les purges de 72 ont crée une terrible déchirure dans le tissu national. Les gens étaient traumatisés. Sur le plan économique, administratif, c’était une catastrophe, tellement de fonctionnaires avaient été tués. »

Le Plan Simbananiye ?
Plusieurs témoignages évoquent un plan Simbananiye, conçu par l’ancien homme fort du régime Micombero pour exterminer les Hutu. Marc Manirakiza a beaucoup réfléchi à la question. Il a une autre interprétation :« Je n’ai jamais vu un tel document, écrit, structuré. Mais ce qui est sûr c’était l’impunité totale pour tuer un Hutu. Un Tutsi qui tuait un Hutu ne risquait rien. On peut appeler cela comme on veut mais telle était la réalité.

L’autre question qui hante l’opinion est le silence. Comment se fait-il que des milliers de gens soient tués, apparemment au vu et au su de tous, de la puissante Eglise catholique notamment. Réservé, Marc Manirakiza, reconnaît que l’Eglise catholique a été « un peu timide ». Sur la proximité de l’évêque de Bujumbura de l’époque, Mgr Ntuyahaga, avec le régime, l’ancien ministre « ne souhaite pas parler contre une personne décédée », mais reconnaît que « Ntuyahaga était proche de Micombero et que sa protestation a été très timide ». Tous les historiens dénoncent en fait une Eglise « du silence. »

Marc Manirakiza, retraité de l’ONU passe son temps à écrire. Condamné à mort, dans un complot fabriqué de toutes pièces, à Mpimba, dans l’attente de son exécution, il a reçu l’extrême onction et pris le dernier repas du condamné. « Les Bulldozers avaient déjà creusé une fosse commune sur la route de l’aéroport . » Cette épisode l’a beaucoup marqué. « Je ne souhaite à personne ce que j’ai vécu » , dit-il avec une douce voix. Sur la tragédie de 72, pour laquelle « nous payons encore », Marc Manirakiza est clair. Les responsabilités doivent être dégagés : « les Hutu ont attaqué sauvagement les Tutsi dans le sud. C’est un fait. Mais la répression a été sauvage, disproportionnée, jusque dans les régions qui n’étaient pas concernées par les massacres. » Interrogé sur sa sérénité, malgré les épreuves, Marc Manirakiza explique que c’est le pardon qui l’a sauvé : « Quand on ne pardonne pas , la haine, le ressentiment vous pourrit la vie, vous ronge, moi j’ai décidé de tourner la page. Cela m’a permis de tenir ». Il prêt à témoigner devant la Commission Vérité et Réconciliation, pour que « les Burundais puissent vraiment se réconcilier. »


Ndayahoze, le visionnaire
Un officier, Martin Ndayahoze, ministre de l’information en 1968, avait écrit au président Micombero une lettre pour attirer son attention sur la dérive ethnique. Il n’a pas été écouté. Par Elyse Ngabire

L’officier de la première promotion de l’armée burundaise avait « senti » la crise. Le 18 avril 1968, le commandant Martin Ndayahoze écrit un rapport politique, lucide : « Le climat politique accuse une certaine tension ; Des bruits de coup d’Etat circulent et tourmentent l’opinion publique. La population s’inquiète, se méfie et veille. (…) Si on analyse la cause de cette petite crise qu’on vient de passer, on remarque un refroidissement des rapports entre citoyens qui peuvent se développer en une haine ethnique. »

M. Ndayahoze, visionnaire, prévenait sur les dangers de cette idée répandue dans la population sur un « péril hutu » : « On constate une vigilance pré orientée qui guette et traque les mêmes cibles. Et une ethnie est sujette à des suspicions permanentes, chaque hutu devenant nécessairement raciste et subversif. »

Presque interdit aux Hutu de se mettre ensemble
La question de l’ethnisme commençait à prendre une ampleur inquiétante. Le commandant Ndayahoze écrit : « Quand deux ou trois Hutu se rencontrent pour trinquer un verre, on conclut tout de suite à un complot de subversion. » 
A l’époque, Martin Ndayahoze regrette la manière dont des Hutu sont traités quand ils rendent visite à leur famille résidant à l’intérieur. Des autorités provinciales, signale-t-il, sonnent l’alerte et les filent indiscrètement. Des personnes visitées subissent des interrogatoires après, des rumeurs diffamatoires de complots fusent de partout et des arrestations s’en suivent. Conséquences : il y a des gens qui n’osaient plus aller chez eux pour ne pas exposer les leurs à ces machinations.

Le plan Simbananiye et l’apartheid tutsi, selon Ndayahoze
De leur côté, les Hutu n’étaient pas restés les bras croisés. D’après leurs enquêtes, une organisation raciste tutsi possédait un programme d’action dont Simbananiye serait l’auteur. D’après des investigations du commandant Martin Ndayahoze, ce programme visait l’instauration d’un certain apartheid au Burundi et sa réalisation était conçue en trois étapes : semer la haine entre les ethnies en noircissant fortement quelques hauts intellectuels hutu, les faire disparaître physiquement pour plonger le pays dans la confusion et la colère et tabler sur les faux bruits déjà en circulation afin de crier haro sur hutu pour récidive de 1965. 

Pour le commandant Ndayahoze, il ne restait plus qu’à lancer une répression sanglante sur des cibles choisies d’avance et se montrer très actif dans l’épuration criminelle pour réclamer le pouvoir comme rançon de son zèle : « Après ce coup de balai, l’apartheid régnera au Burundi et le péril hutu sera anéanti à jamais. » 

La lettre du commandant Ndayahoze confirme tout au moins que la classe politique était consciente du climat malsain.

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