Translate

18 mai 2013

Burundi: Ruhororo sous tension : l’administration, la CNTB, Bonaventure Niyoyankana cités

Journal Iwacu
Les déplacés du site Ruhororo accusent l’administrateur communal de les terroriser et de préparer leur expulsion par la force. Celui-ci dément et parle d’un prétexte pour ne pas remettre les parcelles aux résidents.

JPEG - 47.8 ko
Vue partielle du site de Ruhororo ©Iwacu
Site Ruhororo à 22 kilomètres du chef-lieu de la province Ngozi. Assise devant sa maison, Eliane Nizigiyimana (45 ans) ne cache pas sa peine : « Aucun de mes enfants ne passe plus la nuit sur ce site depuis un mois à cause des menaces de l’administrateur communal. » 

Selon elle, depuis que Clément Baryakaziri est administrateur communal, il cherche par tous les moyens à renvoyer ces déplacés sur leurs collines d’origine : « Il a commencé par dresser des listes de déplacés, à convoquer certains d’entre nous sans motif, à orchestrer une attaque avec des Imbonerakure sur le site. »
« Il a traité les déplacés de fauteurs de troubles… »

Mais cette fois, elle soutient que Clément Baryakaziri est passé à la vitesse supérieure dans la terreur qu’il inflige aux déplacés. Lors d’une réunion qu’il a tenue le 4 avril dernier auprès de 6 chefs collinaires et de la population, elle indique qu’il a qualifié les déplacés de fauteurs de troubles. Des propos que confirment plusieurs personnes présentes lors de cette réunion.

D’après cette mère de trois enfants, l’administrateur communal est allé jusqu’à citer les noms de 15 déplacés du site (pour l’historique du site, voir notre encadré) qui doivent être arrêtés, les accusant d’empêcher les autres déplacés de retourner sur leurs collines d’origine. Plus grave, se souvient Eliane Nizigiyimana, l’administrateur communal a comparé les déplacés aux Banyamulenge de Gatumba tués par des rebelles du FNL ainsi qu’aux bandits armés qui sévissaient à Bujumbura rural : « Il a dit que les déplacés ne sont pas plus forts que les bandits ou les Banyamulenge et qu’ils finiront tous par être anéantis ! »

Depuis, ces déplacés vivent la peur au ventre, car au cours de la même réunion, l’administrateur communal a affirmé que d’ici peu, des policiers et des militaires iront détruire toutes les maisons du site Ruhororo : « Il a même ordonné à un certain Marc de la sous-colline Kinyami de dresser la liste de ceux qui veulent retourner chez eux et ceux qui s’y refusent catégoriquement. »

« Il a reçu de l’argent pour nous expulser… »
Pour ces déplacés, tous ces agissements de l’administrateur communal ne visent qu’une chose : expulser les déplacés du site. Et pour cause, explique l’un d’entre eux sous couvert d’anonymat, il n’a cessé de dire que nous avions construit sur les propriétés des résidents alors que c’est faux. « Nos maisons ont été construites sur des terres domaniales en 1994. Seules quelques parcelles de résidents ont été morcelées pour que tous les déplacés aient des terres à l’époque. »

Pourtant, s’étonne-t-il, les déplacés et les résidents vivaient en harmonie et aucun résident n’avait porté plainte contre eux jusqu’en 2010. Il y a trois ans, l’administrateur communal avait amené de faux propriétaires à la Commission Nationale des Terres et autres Biens (CNTB) pour qu’ils témoignent contre les déplacés qui occuperaient leurs propriétés.
Ces déplacés n’y voient là qu’un prétexte pour que le site soit vidé et que la place soit laissée aux ténors du parti au pouvoir afin qu’ils se partagent les parcelles. « Nous savons que l’administrateur communal a reçu de l’argent pour cela et qu’il est sous pression. »
Un autre déplacé du site va même plus loin. Il demande au gouvernement d’indemniser les anciens propriétaires en leur donnant d’autres parcelles sur des terres domaniales.

Pour Clément Baryakaziri, toutes ces allégations sont fausses. D’après lui, les problèmes ont débuté quand certains jeunes du site ont commencé à construire des maisons dans des espaces vides entre deux maisons : « Les anciens propriétaires s’en sont plaints et nous leur avons demandé d’arrêter ces constructions, mais ces jeunes ont refusé. »
JPEG - 25.6 ko
Clément Baryakaziri : « Certains propos ont été
sortis de leur contexte pour me salir » ©Iwacu

« Ces déplacés sont manipulés »
Le 4 novembre 2012, poursuit l’administrateur, les propriétaires sont entrés sur le site et ont détruit ces maisons. Les déplacés ont crié partout que ce sont des Imbonerakure venus de Bujumbura, Karusi et Gitega qui les ont attaqués. Le lendemain, des jeunes déplacés ont attaqué leurs voisins, détruit cinq maisons habitées et pillé le petit bétail.

Pour Clément Baryakaziri, cela est le résultat de l’endoctrinement orchestré par Bonaventure Niyoyankana, ancien président de l’Uprona, Michel Nigacika (président de l’Uprona à Ngozi) et l’honorable Jean Ihotorihirwa (député Uprona). Ils ne cesseraient d’appeler ces déplacés à la révolte : « Le 1er mai 2012, ils ont réuni une vingtaine des jeunes dans le site chez Donatien Nduwayo, le président de l’Uprona au niveau collinaire pour leur dire de résister à la CNTB. » 
Au cours de cette réunion clandestine, ajoute le numéro Un de Ruhororo, Niyoyankana a demandé aux jeunes déplacés de jeter des pierres aux agents de la CNTB s’ils se présentaient sur le site. Depuis, aucun déplacé ne répond aux convocations de la CNTB.

Or, estime-t-il, le problème est aussi foncier car l’administration a prêté des parcelles aux déplacés en 1994, y compris celles de particuliers. « Ce sont ces derniers qui ont porté plainte à la CNTB et non pas l’administrateur communal. »
D’où ses propos mal interprétés lors de la fameuse réunion du 4 avril 2013. Selon lui, il a signifié à tout le monde que la commission nationale terres et autres biens compte exécuter prochainement 68 décisions concernant le site. « J’ai simplement dit que la CNTB viendrait avec les forces de l’ordre comme elle le fait partout. » 
« La CNTB doit d’abord rétablir les propriétaires dans leur droit… »

Concernant l’indemnité dont parlent les déplacés en faveur des anciens propriétaires, l’administrateur communal explique que cette question n’est pas de son ressort. Toutefois, il pense que la CNTB doit d’abord rétablir les propriétaires dans leurs droits avant toute autre démarche.

Quant au groupe des gens dont il a cité les noms au cours de cette réunion et les menaces qu’il aurait proféré à l’encontre des déplacés, Clément Baryakaziri explique que ce groupe s’est donné la mission de désinformer l’opinion chaque fois qu’il se passe quelque chose à Ruhororo : « Je l’ai fait exprès et j’ai demandé qu’on leur prodigue des conseils pour qu’ils arrêtent leurs agissements. » Et de conclure que certains propos ont été sortis de leur contexte pour le salir.
Mais d’ores et déjà, les déplacés affirment qu’ils ne bougeront pas de Ruhororo. Selon eux, la question du site dépasse largement les compétences de la CNTB et doit être résolue par des mécanismes de justice transitionnelle comme la commission vérité et réconciliation.
Iwacu a contacté le porte-parole de la CNTB et Bonaventure Niyoyankana, sans succès.

Le site existe depuis 1994. Mais les déplacés se sont d’abord regroupés au chef-lieu de la commune Ruhororo après l’assassinat du Président Melchior Ndadaye en octobre1993. Devenus nombreux, l’administration les a installés sur un site s’étendant sur quatre sous collines : Rwamiko, Kinyami, Camihigo et Nyamugari. Chaque famille a eu 25 mètres sur 15. L’administration de l’époque leur a offert des tentes avant de demander à l’ONG Care International de leur construire des maisons. Des tracteurs y ont tracé des routes. Chaque famille a eu une maison de trois chambres et un salon.

Aucun commentaire: