Jouranl Iwacu
La Commission Nationale Terres et autres Biens est une institution gouvernementale dotée d’un mandat pour étudier et trouver des solutions aux conflits fonciers et autres biens liés au contexte de guerres qu’a connues le Burundi. Bien que son travail soit apprécié par le pouvoir, d’autres le trouvent partial au profit des seuls sinistrés.
La CNTB (en long Commission Nationale Terres et autres Biens) a été mise en place en 2006 pour continuer le travail que les autres commissions avant elle avaient effectué, à savoir la commission nationale des rapatriés mise place en 1977, la commission de 1993, la Commission nationale de réhabilitation des sinistrés de 2002 pour appliquer les dispositions de l’Accord d’Arusha. En effet, lors des négociations d’Arusha, la question des terres et des autres biens laissés par les réfugiés et les déplacés, suite aux différentes crises que le Burundi a connues, était au centre des débats. C’est ainsi que les principes suivants ont été arrêtés : le droit à la propriété est garanti pour tous, l’expropriation peut se faire pour cause d’utilité publique, conformément à la loi et moyennant une juste et équitable indemnité, tout réfugié et /ou sinistré doit pouvoir récupérer ses biens, notamment sa terre. Si une récupération s’avère impossible, chaque ayant droit doit recevoir une juste compensation et/ou indemnisation, et il doit être mis en place des mécanismes d’accueil des rapatriés.
Le principe de la CNTB est donc que celui qui a laissé sa terre et ses biens pour fuir la guerre, puisse les récupérer et les réintégrer, dans la mesure du possible. La réintégration est automatique pour les réfugiés de 1993, sauf si l’administration a installé les déplacés de guerre ou édifié des infrastructures d’intérêt communautaire dans leurs anciennes propriétés.
Cependant, l’expérience de la CNTB a montré que, pour les sinistrés de longue date, il n’est pas toujours facile de les rétablir totalement dans leurs biens, du fait de l’usage ou de la gestion que les pouvoirs publics qui se sont succédé en ont fait.
En effet, il est possible de trouver des terres qui sont occupées par des infrastructures d’intérêt public comme des écoles, des hôpitaux, des marchés ou autres. Il y a aussi des terres qui ont été distribuées par l’Etat aux individus, avec des papiers apparemment réguliers, des terres occupées par des déplacés de guerre, des terres appartenant aux sinistrés mais qui ont été vendues par l’Etat, d’autres qui ont fait objet de transactions entre individus. Il existe également des conflits relatifs aux paysannats et des occupations de terres par des sociétés publiques.
Selon Martin Mbazumutima, président de la direction provinciale de la CNTB de Rutana, cette commission est appelée à mettre à jour, en concertation avec les services compétents, l’inventaire des terres et d’autres biens de l’Etat ; à identifier et à proposer la récupération de ceux qui ont été irrégulièrement attribués. Elle doit connaître toutes les affaires qui lui sont soumises par les sinistrés en vue de la restitution de leur patrimoine et fournir une assistance technique pour aider les sinistrés à rentrer dans leurs doits de propriété. Elle doit proposer au ministre compétent, l’attribution de nouvelles terres aux sinistrés qui n’en ont pas.
Cette commission, toujours d’après M. Mbazumutima, doit également connaître des litiges relatifs aux décisions prises par les Commissions antérieures et qui n’auraient pas été réglés, étudier les possibilités et les modalités de compensation pour les sinistrés qui n’ont pas recouvré leurs terres ou autres biens.
Mgr Sérapion : « Le partage équitable est une solution hypocrite »
En général, la CNTB privilégie l’arrangement à l’amiable
La CNTB a ouvert des bureaux dans les provinces avec des cadres permanents qui sont chargés du suivi régulier des dossiers dans leurs milieux. La plainte recevable est introduite par un sinistré, ainsi que toute personne qui aurait été spoliée de ses biens du fait des événements tragiques qu’à connus le pays depuis l’indépendance. La plainte peut être déposée également par le résident en recours contre une décision de la délégation provinciale. Cependant, les principes fondamentaux qui guident la CNTB autorisent les plaignants à se faire représenter par des personnes disposant des procurations spéciales.
Dans l’accomplissement de sa mission, la nature des décisions de la CNTB est variée. En effet, il y a l’arrangement à l’amiable entre les parties en conflit, la décision de la CNTB, mais aussi l’orientation et l’irrecevabilité.
Prosper Bazompora, vice-président de la sous-commission de recours au sein de la CNTB, indique que les arrangements à l’amiable sont directement exécutés après leur signature par les parties en conflit. Les décisions de la délégation provinciale sont exécutées dans un délai de deux mois si aucune des parties n’a introduit un recours à la commission nationale. Cependant, un recours, dans un délai légal de 60 jours, contre les décisions prises au niveau de la délégation provinciale, suspend leur exécution.
Il faut noter que le premier niveau de ce recours se situe au sein même de la CNTB. Néanmoins, l’intéressé peut aussi s’adresser à une juridiction compétente contre les décisions prises par la CNTB au niveau national.
Une CNTB souvent décriée
La décision prise par la Commission reste exécutoire jusqu’à l’épuisement de toutes les voies de recours judiciaires. Selon toujours M. Bazompora, un recours administratif contre une décision de la CNTB au niveau national peut également être introduit auprès de l’autorité de tutelle, à savoir le Président de la République.
Pour certains observateurs, la CNTB se borne à restituer les terres aux sinistrés, créant ainsi une situation de conflit avec les occupants. Pourtant, soulignent-ils, les missions de la CNTB sont de trois ordres : la restitution des terres, la réconciliation et la paix.
Il y a quelques mois, la CNTB a annoncé qu’elle allait passer à une autre phase, celle des autres biens (maisons, comptes en banque, véhicules…) Cette décision a suscité des inquiétudes chez certains, à l’instar du député uproniste Bonaventure Niyoyankana. Pour lui, la commission a sauté des étapes prévues à Arusha puisqu’elle a commencé à régler les problèmes de terres et autres biens sans attendre le travail de la CVR. Un point de vue partagé par François Bizimana, porte-parole du Cndd, mais qui étonne Dieudonné Mbonimpa, porte-parole de la CNTB, pour lequel demander que la CNTB attende la mise en place de la CVR, après six années de fonctionnement, vise tout simplement à déranger le travail de la commission. Il souligne que la CNTB est régie par une loi qui lui est propre, tout comme la CVR aura la sienne.
Une commission au-dessus de la loi ?
Toutefois, cette loi qui régit la CNTB est souvent dénoncée. Ainsi, les limites aux pouvoirs de cette commission sont floues. Mgr Sérapion Bambonanire, président de la CNTB, a déclaré que les tribunaux n’ont aucune place dans les décisions de la commission. Ce à quoi Elie Ntungwanayo, porte-parole du ministère de la Justice, a répliqué que la loi a des prérogatives sur toutes les décisions jugées illégales par une partie, fussent-elles de la CNTB. « Malheureusement, la loi régissant la CNTB est une loi d’exception qui prend l’autorité à la justice, et la lui rend après exécution par la CNTB. Pourtant, jamais une commission ne peut remplacer la justice », déplore-t-il.
Il faut noter, cependant, que la vice-présidente de la CNTB a reconnu que la loi régissant la CNTB a besoin d’être révisée, et que, même Léonidas Hatungimana, porte-parole du président de la République, a indiqué que les textes de loi qui régissent la CNTB seront revus dans un proche avenir pour corriger certaines imperfections.
Le bilan de la CNTB : selon Sophonie Ngendakuriyo, vice-président de la CNTB, la Commission est satisfaite de ses réalisations : en effet, sur 33.499 conflits enregistrés, 22.501 ont été déjà réglés et 10.998 restent en suspens, soit une moyenne de 67,17% des conflits réglés. Les conflits relatifs aux autres biens déjà clôturés sont de l’ordre de 200. Seuls ceux dont les parties en conflit sont bien claires sont traités.
60,98% des conflits sont réglés à l’amiable ; 25,38% des conflits sont réglés par décision ; 13,63% des conflits ont été orientés ailleurs. Sur 22.501 dossiers réglés jusqu’ici, seuls 1062 ont été introduits en recours, soit 4,76%.
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