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23 mars 2011

Les mystères du recouvrement de la dette ougandaise envers le Burundi

iwacu
Les choses sont aujourd’hui claires. Tout le montant de la dette ougandaise n’a pas servi à l’achat des cahiers. Seul le principal a été payé à la société Picfare pour la fourniture du matériel scolaire destiné aux écoliers burundais. Mais la société a été doublement payée….sur le dos du contribuable burundais. Enquête sur une gestion opaque.


LettreOugandaise

Selon des documents dont Iwacu a obtenu une copie, dès 1995, le gouvernement de Sylvestre Ntibantunganya engage un cabinet ougandais dénommé Senyondo & Co. Advocates pour procéder au recouvrement  de la dette. Et c’est le ministre des Finances de l’époque, Salvator Toyi, qui signe le contrat pour la partie burundaise.

La tâche de ce cabinet consiste  à obtenir la transformation de la dette contractée par l’Armée de Résistance Nationale ougandaise(NRA), la rébellion de Yoweri Museveni, en une dette bilatérale payable par l’Etat ougandais. Les gouvernements de Buyoya I et de Sylvestre Ntibantunganya  ayant été obligés de payer les sociétés burundaises, notamment  COGETRAF et la société de l’homme d’affaires Juvénal Kamenge,  qui avaient fourni la NRA en tissus du COTEBU, boissons et autres équipements, sous le régime de Jean Baptiste  Bagaza, le Burundi  n’a alors d’autre choix que de demander  à l’Ouganda de rembourser.
En vertu du principe de la continuité de l’Etat, le pouvoir Cndd-Fdd prend langue avec le cabinet Sendege pour recouvrer la dette. Et après d’âpres négociations des avocats de Sendege, l’Ouganda endosse finalement  la dette. Selon une source proche du dossier, il est question qu’une partie de la dette soit payée en espèce, une autre en nature. Mais les choses iront autrement.

Le hic de la concession signée par  Dieudoné Ngowembona
Un accord d’allègement de la dette signé le 14 octobre 2005, établit que  l’Ouganda aura à payer  au Burundi le principal seulement, soit 8.666 466$ (Huit millions six cent soixante six mille quatre cent-soixante six dollars américains). Comme le spécifie ce texte, le Burundi renonce à exiger le payement des intérêts, soit  5.504 302, 07$ ( cinq millions cinq cent quatre mille trois cent deux mille dollars américains et zéro sept centimes). L’accord d’allègement de la dette est signé par le ministre d’Etat ougandais  en charge des finances, de la planification et du développement économique, Mwesigwa Rukutana  et son homologue du Burundi, Dieudonné Ngowembona.
Selon cet accord :

  • L’Ouganda s’engage à rééchelonner  le payement de sa dette envers le Burundi(8.166.666) en une période de cinq ans avec un taux d’intérêt de 0%
  • Rien n’empêche Kampala d’effectuer des payements en avance de tous les versements partiels au cas où la disponibilité des liquidités le permet
  • L’Ouganda effectuera un acompte de trois millions de dollars américains (3.000.000$) dans les trente jours suivant la signature du contrat
  • Le payement du montant restant, soit 5.166 666$ sera réglé en ‘ versements annuels égaux  à partir du mois d’août 2006 ; le dernier payement devant intervenir le 30 août 2009.
Aucune trace du payement  de cette dette n’est trouvable à la BRB. Idem au  ministère burundais des finances où les officiels contactés nient avoir des documents y relatifs…. dont Iwacu a pu se procurer des copies ! Et contacté à propos, l’ancien ministre Dieudonné Ngowembona a refusé de s’exprimer.

Toute la somme est versée à Picfare pour l’achat de matériel scolaire

ENCADRE
Voici quelques dispositions de la constitution burundaise en rapport avec les fautes de gestion de l’Etat.
Article 116

Le Président de la république peut être déclaré déchu de ses fonctions pour faute grave, abus grave ou corruption, par une résolution prise par les deux tiers des membres de l’Assemblée Nationale et du sénat réunis.
Article 117 
Le président de la république n’est pénalement responsable des actes accomplis dans l’exercice des ses fonctions qu’en cas de haute trahison.
Il y a haute trahison lorsqu’en violation de la Constitution ou de la loi, le Président de la République commet délibérément un acte contraire aux intérêts supérieurs de la nation qui compromettent gravement l’unité  nationale, la paix sociale, la justice sociale, le développement du pays ou porte gravement atteinte aux droits de l’homme, à l’intégrité du territoire, à l’indépendance et à la souveraineté nationales.
La haute trahison relève de la compétence de la Haute Cour de Justice.
Le Président de la République ne peut être mis en accusation que par l’assemblée Nationale et le Sénat réunis en congrès et statuant, à vote secret, à la majorité de deux tiers des membres.
L’instruction ne peut être conduite que par une équipe d’au moins trois magistrats du Parquet Général de la République présidée par le Procureur Général de la République.
Article 132
Le Gouvernement délibère obligatoirement sur la politique générale de l’Etat, les projets de traités et accords internationaux, les projets de lois, les projets de décrets présidentiels, d’arrêtés d’un Vice-président et d’ordonnances des Ministres ayant un caractère de réglementation générale.
Article 204
L’Assemblée Nationale et le Sénat ont le droit de constituer des commissions parlementaires chargées d’enquêter sur des objets
déterminées de l’action gouvernementale.
Dans la foulée de la signature de cet accord, le Ministre des finances Dieudonné Ngowembona écrit au chef de la diplomatie ougandaise Sam Kutesa une lettre dans laquelle il lui demande de verser et l’acompte et le reste du montant de la dette à la société Picfare Industries Ltd chargée de fournir du matériel scolaire au Burundi.
Le geste fait par le Burundi en allégeant une partie de la dette que lui devait  pourrait faire penser à une sorte de renvoi d’ascenseur. Surtout que Yoweri Museveni a aidé les chefs du Cndd-Fdd à l’époque du maquis. Mais l’on se retrouve vite assailli de plusieurs interrogations. Et pour cause !

Deuxième payement en faveur de la société Picfare !
Dans une lettre du 31/01/2008  à la ministre burundaise des finances le 09/08/2010, l’Accountant General,  au ministère ougandais des finances, G.O.L. Bwoch, annonce que son pays a déjà  payé toute sa dette envers le Burundi, à savoir les Huit Millions cent soixante six six cent soixante six(8.166.666$) conformément l’accord d’allègement de la dette signé le 14 octobre 2005. Il demande à l’argentier du Burundi de confirmer réception de ces fonds. 

Puis, dans une lettre datée du 09/08/2010,  le même trésor 


LettreOugandaise1
ougandais, par le biais du Commissionner  Treasury Services, Mpoza Isaac D et de l’Accountant General, G.O.L. Bwoch, autorise sa banque centrale à transférer  l’équivalent  de la bagatelle de 5, 504, 302 07$ sur le compte de la société Picfare Industries Ltd, N° 02501007274 ouvert à la Bank of Baroda(U) Ltd.S
Cette somme correspond au montant des intérêts auxquels le Burundi a renoncé en signant l’accord d’allègement de la dette de l’Ouganda le 14 octobre 2005. D’où des soupçons de détournement  qu’auraient  certains membres du pouvoir de Bujumbura burundais par Picfare interposé. Et pour cause ! 
Tout laisse penser que Picfare  a été doublement payée :
d‘abord  avec  la dette principale ; ensuite avec  les intérêts que le Burundi avait abandonnés ! Des fonds qui n’aurait pas servi à l’achat des cahiers mais qui seraient gérés à la discrétion de Picfare et du trésor burundais, selon des sources proches du dossier.














Vers une enquête parlementaire ?

Le député de l’EALA, Manassé Nzobonimpa accuse certains ténors du parti Cndd-Fdd d’avoir détourné l’argent payé par l’Ouganda au Burundi.

Comme nous l’écrivions dans notre dernier  numéro, la quantité de cahiers fournis par Picfare est loin du compte. En multipliant plus de 12 millions de cahiers mentionnés sur les documents par leurs prix unitaires actuels au marché central de Bujumbura, l’on peut, avec une certaine marge d’erreur, estimer la valeur de ces cahiers à 9.868.795.200 Fbu, soit  7.895.180$, au taux de change de 1.250Fbu le dollar US. 

L’on pourrait penser que le différentiel  de 271.480$ a peut-être été utilisé pour payer les honoraires des avocats qui assistaient le Burundi dans ses démarches pour recouvrer la dette. Or, selon des sources proches du dossier, le cabinet Sendege revendique désespérément son dû : plus de 368.000$ ! 
Par ailleurs, selon un habitué des procédures administratives, l’annulation de cette partie de la dette ougandaise (les 5, 504, 302 07$) pourrait être assimilée à une haute trahison. Certes, au regard de la constitution, rien n’oblige les princes qui nous gouvernent à consulter le Parlement avant d’annuler une dette d’un Etat tiers. Mais force est de constater que, du moins selon l’esprit des articles 116, 117, 132  et 136 de la constitution, les intérêts du Burundi ont été bradés. Et il semble que la question n’a nullement été portée à la connaissance du conseil des ministres !
A défaut d’un audit international sur le payement et l’utilisation de la dette ougandaise, comme le demandent  instamment les militants anti-corruption, l’Assemblée Nationale burundaise devrait au moins jouer son rôle en mettant sur pied une commission d’enquête comme l’y autorise la constitution. Et l’enquête est loin d’être compliquée. « Pourvu qu’il y ait une volonté politique », estime un ancien élu du peuple.



LettreOugandaise2

Selon une source proche du dossier, la décision du gouvernement du Burundi de renoncer à exiger de l’Ouganda  le payement des intérêts serait intervenue dans des circonstances pour le moins obscures. Car même les avocats qui avaient suivi le dossier depuis 1995 ne l’auraient appris que près de 4 ans après alors qu’ils réclamaient leurs  honoraires équivalant à 4% de tout le montant de la dette, soit  566.666$.

Par ailleurs, dans une lettre à la ministre burundaise des finances, le 27 novembre 2009, pour réclamer ses honoraires, le cabinet Sendege  indiquait qu’il était en pleines démarches auprès du gouvernement ougandais pour l’amener à payer la deuxième partie de sa dette, à savoir  les 5, 504, 302 07$. « Comme vous le savez, nous sommes vigoureusement engagés à faire le suivi de la réclamation de votre gouvernement relative au montant additionnel de 5, 504, 302 07$ représentant les intérêts, qui bien que habilement négocié par nous,  avait été involontairement omis lors de la signature de l’accord de règlement final », écrit alors Me Jehoash Sendege.
De même, une autre correspondance du 29 avril 2010 adressée à la  même ministre des finances, le cabinet Sendege raconte ses pérégrinations pour tenter de recouvrer son dû.
« Récemment, un de nos collègues a rencontré les responsables de Picfare Industries Limited et leur a expliqué le rôle crucial que nous avons joué dans les négociations qui ont abouti au règlement entre votre gouvernement et celui de l’Ouganda. Ils ont salué  le service inestimable que nous avons rendu à votre pays par rapport à cette affaire.
« Quand ils ont appris nos vains efforts pour recouvrer nos honoraires de votre part, ils ont été pris de pitié et ont proposé que, à votre autorisation,  ils puissent régler notre réclamation en débitant le compte que vous avez en commun. Nous pensons sincèrement que, outre que cela allégerait notre fardeau, résoudrait  vos éventuels problèmes de liquidités ».
Voilà  pourrait laisser penser à un compte co-géré par Picfare et le ministère des finances. Contacté à propos, le cabinet Sendege n’a pas voulu s’exprimer, expliquant  être plutôt occupé à réclamer ses honoraires. De même, nous avons vainement cherche à joindre la ministre Clotilde Niragira pour avoir sa version des faits.

Ngenzirabona

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