C'est à se demander si ce n'est pas une cause désespérée.
Il est vrai que les chiffres sont accablants. Sur les 20 pays les plus
pauvres de la planète, 17 sont situés en Afrique. On parle souvent
d'Haïti comme l'un des pires dépotoirs de misère. Haïti est le pays le
plus pauvre des Amériques, c'est vrai. Mais en Afrique, on ne compte pas
moins de 21 pays encore plus pauvres qu'Haïti. Six d'entre eux
affichent un produit intérieur brut par habitant inférieur à un dollar
par jour. Au Burundi et au Congo-Kinshasa, les deux plus pauvres, on
parle de 50 cents par jour! Les 965 millions d'Africains se partagent à
peine la même richesse (quoique de façon infiniment plus inégale) que
les 34 millions de Canadiens. Ces chiffres sont extraits de la dernière
compilation internationale (2010) du Fonds monétaire international.
Dans ces conditions, il peut paraître irréaliste de parler d'espoir.
C'est pourtant ce que fait le Conference Board dans une étude parue
récemment.
Cet espoir repose sur ce que les experts appellent le «dividende démographique».
Une économie peut connaître une bonne croissance, comme c'est le cas
dans plusieurs pays africains depuis quelques années, mais cette
croissance peut se transformer en appauvrissement si la population
augmente plus rapidement.
Dans les pays où le taux de fécondité (le nombre de naissances divisé
par le nombre de femmes en âge de procréer) est bas, la population
active représente une part plus importante de la population totale;
autrement dit, le taux d'activité sur le marché du travail augmente, ce
qui contribue à créer de la richesse. C'est cela, le dividende
démographique. Selon la revue The Economist, citée par le Conference
Board, on peut attribuer près du tiers de la phénoménale croissance
économique de certains pays asiatiques à ce dividende. Un tiers, c'est
énorme.
Or, sans que cela ne fasse les manchettes, l'Afrique s'urbanise
lentement. À mesure que les couples quittent la campagne pour s'établir
en ville, la taille des familles diminue: les logements sont plus
exigus, les deux parents travaillent à l'extérieur, il est plus
difficile d'élever une famille nombreuse en ville. Déjà, dans certaines
capitales comme Accra, au Ghana, ou Luanda, en Angola, on observe des
taux de fécondité relativement bas (selon les normes africaines) en même
temps que l'émergence d'une classe moyenne. Les couples qui y accèdent
s'achètent une maison et se contentent de deux enfants.
En 1990, le taux de fécondité en Afrique était de six (naissances par
femme), contre deux en Asie orientale. L'économie n'a pas pu suivre
cette croissance démographique effrénée. Des millions de jeunes
Africains ne peuvent trouver un travail; les filles se tournent vers la
prostitution et les garçons vers le crime, la violence, les milices
organisées.
Comme on l'a vu, la taille des ménages diminue à mesure que l'Afrique
s'urbanise. Selon une projection des Nations unies, le taux de fécondité
aura chuté aux alentours de 3 dans 20 ans et à 2,5 en 2050. Ces
chiffres sont proches de ceux observés dans les pays riches.
L'Afrique serait alors en bonne position pour profiter à son tour du
dividende démographique. Ça, c'est le côté encourageant des choses.
Mais il y a un revers de la médaille. La plupart des pays africains
n'ont pas d'institutions solides. Il n'y a pas -ou si peu- de sociétés
de droit bien établies, encadrées par des tribunaux impartiaux et
respectés; les réseaux financiers sont peu sûrs; les infrastructures
sont déficientes; les instances démocratiques ne sont souvent que des
caricatures. Pour profiter du dividende démographique, il faudra relever
tous ces défis. Et pour rendre les choses encore plus compliquées,
l'Afrique part de très loin. Dans certaines villes, le taux de chômage
frise les 70%. Plus de 50 millions d'enfants africains sont orphelins et
la majorité d'entre eux sont livrés à eux-mêmes.
Le dividende démographique, à lui seul, ne pourra pas mettre l'Afrique
sur la voie tant attendue de la prospérité. Mais il offrira un atout en
or et cela dans quelques années seulement. C'est d'ailleurs ce qui
inquiète les auteurs: si les Africains veulent vraiment que le dividende
joue pleinement et leur permette à leur tour de devenir des «tigres»
économiques, ils ont peu de temps devant eux -tout au plus une
génération. Une tâche énorme, mais pas impossible, les attend.
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