Au Burundi, Christine Ntahe, une journaliste à la retraite, a dernièrement été investie notable dans une institution traditionnellement dominée par les hommes. Portrait d'une femme engagée qui se consacre aujourd'hui aux enfants les plus pauvres
Assise, en habit traditionnel blanc, un diadème sur la tête, Christine Ntahe lève la main droite et prête serment. Accompagnée par une marraine – debout derrière elle, les mains sur ses épaules –, la nouvelle notable (mushingantahe en kirundi) s'engage à assister toute personne, sans distinction, de manière désintéressée, et à toute heure du jour ou de la nuit. "J'étais la seule femme ! C'était une immense joie d'être investie en même temps que 11 hommes", souligne-t-elle à propos de cette cérémonie officielle qui s'est déroulée le 25 septembre dernier dans la commune urbaine de Ngagara à Bujumbura, la capitale burundaise.
L'altruisme de cette dynamique veuve de 61 ans, mère de quatre enfants et trois fois grand-mère, ne date pas d'hier. Depuis 1994, elle ouvre chaque dimanche sa maison aux enfants pauvres, leur donne à manger, les habille. Ils s'y lavent, jouent… Christine Ntahe fait tout son possible pour les mettre à l'école et leur fournir le matériel nécessaire. En septembre dernier, 70 d'entre eux ont ainsi pu faire leur rentrée grâce au soutien de personnes charitables. Certains terminent le cycle secondaire ; d'autres poursuivent leur scolarité.
La voix des sans voix
Aujourd'hui retraitée, Christine a pendant vingt ans animé comme journaliste l'émission Tuganirize ibibondo (Parlons avec les enfants) à la radio nationale. Au plus fort de la guerre, elle a été parmi les premiers journalistes à leur tendre le micro pour faire entendre leur détresse. Ils étaient en effet de plus en plus nombreux dans les rues de la capitale, abandonnés à leur triste sort. Membre de l'ONG internationale Search for common ground pendant dix ans, Christine a sillonné le pays, à la rencontre aussi des Burundaises, à travers son émission Mukenyezi nturambirwe (Courage, femme !). Une expérience qui lui fait dire que les femmes, toutes ethnies confondues, ont grandement contribué à construire la paix.
Son investiture comme notable récompense un parcours exemplaire. Elle constitue aussi une suite logique pour elle, dont le nom concorde parfaitement avec sa personnalité. I-Ntahe signifie en effet à la fois le bâton de commandement utilisé par les notables lorsqu'ils tranchent un différend et la sentence finale qu'ils prononcent après avoir entendu les plaignants et délibéré.
Christine connaît le monde des bashingantahe (pluriel de mushingantahe) depuis qu'elle est toute petite. "Mon père était l'un d'eux. Il avait l'esprit ouvert : en 1955, il a pensé à mettre sa fille à l'école…", se souvient-elle. Durant son enfance, elle voyait les notables à la tâche. Dans chacune des 129 communes, leur conseil compte 25 membres. Parmi eux, dix sont des femmes. Au niveau collinaire, ils sont dix et la moitié sont des femmes. Dans les communautés où ils vivent, les notables veillent à la cohésion sociale et réconcilient les familles. Pour Mme Ntahe, ils aident beaucoup de gens qui, autrement, devraient avoir recours à la Justice. Aujourd'hui, l'institution des notables se modernise petit à petit. Une journée nationale dédiée à l'I-Ntahe a été célébrée, le 20 novembre dernier.
L'amour des enfants d'abord
"Normalement, on investit un couple marié", explique Denis Nzohabonimana, mushingantahe lui aussi, secrétaire exécutif au projet SCIAF (un fonds catholique écossais), qui soutient la participation des notables dans la recherche de la paix, la lutte contre les violences faites aux femmes, etc.). "Mais, poursuit-il, si une veuve a le sens de l'équité et de la vérité, si c'est une mère de famille exemplaire, les textes régissant l'institution lui donnent cette opportunité au même titre qu'un homme."
La personne ou le couple demande à être investi aux notables de leur colline. Pendant parfois une année, les membres de l'institution vérifient si le candidat est digne de les rejoindre. Ils enquêtent dans le voisinage, à son travail, etc. Le cas de Christine Ntahe ne prêtait guère à contestation… "Elle était déjà imprégnée de nos valeurs avant même d'être investie, estime M. Nzohabonimana, avant de souligner, elle était déjà connue dans le voisinage et la société pour ses activités."
Son investiture représente une récompense de plus. En avril 2010, l'association Heart of Africa l'avait primée, aux côtés de deux autres Burundaises, Marguerite Barankitse et Jeanne Gapiya. Et, en 2005, elle avait été nominée avec neuf autres compatriotes et 1 000 femmes dans le monde pour le Prix Nobel de la Paix. Les honneurs n'éloignent cependant pas Christine de son amour des enfants. Son premier souci : avoir toujours le nécessaire pour continuer à les accueillir. Elle estime que son intégration parmi les bashingantahe, en tant que femme, servira d'émulation à d'autres. Et aussi, qu'elle sera moins seule dans son combat.
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