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4 juillet 2010

« Des barbares m’ont coupé la jambe à la machette »

Marjorie BEURTON 

Athlétisme championnats de france handisport à sarreguemines

Il court toujours plus vite et saute toujours plus loin. Jean-Baptiste Alaize a une jambe en carbone et un mental d’acier.  Photo RLVictime du génocide burundais, on lui a volé sa jambe et sa maman à trois ans. Venu en France, un fameux 12 juillet 98, afin d’être appareillé Jean-Baptiste Alaize y est resté. Aujourd’hui, il bat des records pour « venger son passé ».
Une jambe à terre. Un tibia et un pied en plastique traînent sur la pelouse du stade Pierre de Coubertin à Sarreguemines, terre promise des championnats de France d’athlétisme handisport.
Dans une chambre d’enfants on emboîterait l’objet à une poupée démantibulée. Sur un stade d’athlétisme, on comprend que le membre inférieur allongé entre bouteilles d’eau et survêtement appartient à un grand bébé : Jean-Baptiste Alaize, dix-neuf ans, 1,82 m pour 67 kg, amputé tibial, triple champion du monde jeunes de la longueur du 100 m et du 200 m.

Le jeune homme a la banane, le Biterrois vient d’être sacré champion de France à la longueur avec un saut à 6,19 m, à six centimètres des minima pour participer aux championnats du monde en Nouvelle-Zélande. Peu importe, il reviendra sur un stade d’athlétisme, poser sa prothèse de marche à côté d’un chrono et d’un pack d’eau, afin d’enfiler sa lame de course à pied et courir, sauter, lancer…

Mais alors pourquoi, comment est-ce arrivé ? La curiosité se fait timide. Pas facile de l’interroger sur sa vie, son passé, son handicap. Un sourire à la blancheur éclatante met à l’aise. Jean-Baptiste ouvre son cœur. «  Je suis né au Burundi. J’ai été victime du génocide en 1994. » Déglutition difficile. La gorge s’est nouée. La suite reste en suspens. De lui-même, l’athlète reprend… «  Des barbares m’ont coupé la jambe à la machette. Ils sont entrés dans notre maison. Ce n’est pas de chance, ils ont pris ma mère et moi. Dehors, ils ont décapité ma maman, sous mes yeux, et m’ont porté des coups de machette. Quatre en tout. »
Les cicatrices témoignent du passé. Son dos, son cou et son bras sont marqués à vie. Mais c’est la jambe qui a le plus trinqué. «  Je me souviens de la douleur, de leur voix, de ma peur. De tout. Ils m’ont cru mort. L’un d’entre eux a dit : "laisse-le, il est fini". Alors j’ai fait le mort pour ne pas qu’ils reviennent.  Je me suis réveillé à l’hôpital. Sans ma jambe. »

Pendant quatre ans, le petit Mougicha – c’est son prénom africain qui signifie l’enfant du bonheur – réapprend à marcher, sur un pied.

En 1998, Mougicha devient Jean-Baptiste. «  Mon père m’a envoyé en France pour me faire appareiller. Au final, j’y suis resté. » Jean-Baptiste est adopté par une famille de Montbéliard. La famille Alaize. Il a d’ailleurs tatoué leur nom sur son grand cœur de champion.
Son adoption, il ne la comprendra que plus tard, trop tard. Son père biologique s’en est allé. «  J’ai encore de la famille au Burundi. Mais je n’ai pas envie d’y retourner. Je leur en veux un peu de ne rien m’avoir dit… »

Jean-Baptiste est arrivé en France un 12 juillet fameux. Celui de 1998. «  Je ne parlais pas un mot de français et franchement, j’ai eu peur. Je vous ai tous pris pour des dingues. J’avais sept ans et la France venait de remporter la Coupe du monde. Je me suis dit bienvenu chez les fous ! » Très vite il comprend : «  le sport transcende les gens. » Pourquoi pas lui ? Il s’essaye à l’équitation, passe son galop 6 et termine dixième jeune Français. Jean-Baptiste a des prédispositions… psychologiques.

Puis, le coup de foudre. Il est champion UNSS au collège du 150 m. Un mois après, il est triple médaillé d’argent aux Mondiaux jeunes. Jean-Baptiste intègre un club, celui de Béziers, casse sa tirelire pour une lame en carbone. 9 000 euros la jambe ! Et commence sa rédemption. Le futur sociétaire de l’Insep fait tomber le record du monde de la longueur avec un saut à 6,23 m. Il court le 100 m en 12"04 et s’autorise à rêver des Jeux de Londres en 2012. Pourquoi tant de hargne ? «  J’ai besoin de me défouler. J’ai envie de me rattraper, comme si j’étais redevable. Mon passé me pousse à me transcender. Parfois, je suis heureux de ce qui m’est arrivé. Je suis un miraculé. Bien sûr, je ne vais pas remercier mes bourreaux mais sans eux, sans cette histoire, je ne serais peut-être pas là… » 
 
Admin@2010

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